1. Les Pithou : des collectionneurs et des écrivains
A. Des collectionneurs
Toute la famille eut la passion des livres, qui fut transmise à ses rejetons par Pierre « Ier », le père. Pierre (le fils), François, et dans une moindre mesure Nicolas et Jean, ont collecté toutes sortes d’ouvrages à travers la France, l’Italie ou l’Allemagne : ouvrages religieux, littéraires, historiques, politiques, juridiques, manuscrits ou imprimés.
On disait de Pierre et François Pithou qu’ils « sentoient les bons livres de loin, comme les chats une souris. »
-
Des manuscrits
Voici quelques numérisations tirées de manuscrits achetés par les Pithou. On peut les retrouver, et d’autres encore, sur le site « patrimoine » de la médiathèque (www.patrimoine.agglo-troyes.fr -> « Enluminures » -> « Recherche guidée » -> taper « Pithou » dans « Recherche libre »).
La règle pastorale (Liber pastoralis) du pape Grégoire 1er le Grand, VIIe siècle, ms 504 Il s’agit du plus ancien manuscrit conservé à la médiathèque. Il a été copié à Rome. Grégoire 1er a été pape de 590 à 604. Considéré comme un des quatre Pères de l’Eglise d’Occident, son influence sur la pensée religieuse fut considérable à l’époque médiévale. La Règle pastorale fut un ouvrage fondamental de formation pour le clergé du Moyen Age. |
Histoire romaine, de Tite-Live, XVe siècle, ms 178 Il s’agit d’une traduction française de cette œuvre célèbre de l’historien latin Tite-Live qui vécut entre le milieu du 1er siècle avant et le début du 1er siècle après Jésus-Christ. L’enlumineur, anonyme, était actif à Troyes vers 1470. |
Vie de Saint-Maur, d’Odon de Glanfeuil, XIIe siècle, ms 2273 L’enlumineur anonyme de ce manuscrit était actif à Saint-Maur-des-Fossés durant le premier quart du XIIe siècle. Odon de Glanfeuil fut abbé du monastère de Glanfeuil (aujourd’hui dans le Maine-et-Loire) au IXe siècle. |
Des devoirs (De Officiis), de Cicéron XIVe siècle, ms 552 Cet ouvrage a appartenu au célèbre écrivain italien du XIVe siècle Pétrarque. Cicéron lui-même est l’un des plus célèbres hommes politiques et écrivains de la Rome antique, auteur de nombreux ouvrages philosophiques et politiques, de discours et de plaidoiries (il était aussi avocat). Il vécut au 1er siècle avant J.-C. |
Du bon gouvernement des princes, de Gilles de Rome, XIVe siècle, ms 898 Composé en 1277-1279 à la demande du roi de France Philippe le Hardi pour l’instruction de son fils, le futur Philippe le Bel, cette œuvre fut le plus grand succès de la littérature politique médiévale (194 manuscrits latins conservés). Gilles de Rome, ermite de saint Augustin puis archevêque de Bourges, professeur à l’université de Paris, fut l’un des grands intellectuels du XIIIe siècle. Remarquez l’enluminure de la marge inférieure, représentant un âne enseignant derrière un pupitre, ainsi que l’ex-libris indiquant que le manuscrit passa dans les collections du Collège de l’Oratoire de Troyes, suite au testament de François Pithou. |
-
des imprimés
Les Coustumes du bailliage de Troyes en Champaigne,
1516 (cote : cl.8.2990)
Comme le montrent les illustrations ci-dessus, cet ouvrage fut abondamment annoté par Pierre (le « fils ») qui en était propriétaire : les notes manuscrites dans les marges, et sur des feuillets interfoliés (des feuillets vierges intercalés entre les pages imprimées) sont en effet de sa main et s’expliquent par son objectif de rédiger lui-même une nouvelle édition de ces coutumes (voir ci-dessous « Les Pithou, des écrivains »).
B. Pierre Pithou, un éditeur
Pierre Pithou travailla aussi à la réalisation d’éditions imprimées d’œuvres qu’il jugeait importantes, et qui, pour certaines d’entre elles, n’étaient encore disponibles que sous forme de manuscrits. Il redécouvrit même, au cours de ses recherches, des œuvres tombées dans l’oubli et qu’il fit imprimer, leur assurant ainsi le succès.
Ottonis episcopi Frisingensis… Chronicon, sive rerum ab orbe condito ad sua usque tempora gestarum libri octo. Ejusdem de gestis Friderici I… libri duo… Radevici Frising. canonici de ejusdem Frid. gestis libri II… Guntheri poetae Ligurinus, sive de gestis Friderici libri X. Addita sunt et alia, cum ad Friderici, tum ad posteriorum Imperatorum historiam pertinentia, 1569 (cote: aa.4.173) Il s’agit ici d’une édition de l’ouvrage de l’évêque allemand du XIIe siècle Othon de Freising, Vie de l’empereur Frédéric Barberousse, imprimée à Bâle en 1569. L’empereur germanique Frédéric Barberousse était le neveu d’Othon de Freising. |
haedri Aug. Liberti fabularum Aesioparum Libri V, 1596 (cote : cl.12.221) Pierre Pithou fut le grand découvreur de Phèdre, auteur latin du 1er siècle après J.-C. qui s’inspira des Fables d’Esope mais sombra dans l’oubli. C’est la découverte d’un manuscrit du IXe siècle qui poussa Pithou à faire publier pour la première fois les cinq livres des Fables de Phèdre. Ci-dessus la page de titre de cette première édition, imprimée en 1596, l’année même de la mort de Pierre, et due à l’imprimeur troyen Jean Oudot (« Augustobonae Tricassium » = « A Troyes » ; « Io. Odotius » = « Jean Oudot » ; « Typographus regius » = « imprimeur du roi ») |
C. Les Pithou, des écrivains
Nous nous limiterons ici à une présentation succincte de l’œuvre de Pierre Pithou (le « fils ») et de son demi-frère Nicolas, connus pour être les auteurs ou coauteurs (avec leurs frères ou des intellectuels appartenant à leurs cercles d’amis) d’ouvrages importants pour comprendre la situation politique et religieuse de la France de la fin du XVIe siècle.
1. Pierre Pithou
La production littéraire de Pierre Pithou est avant tout celle d’un grand juriste, dont la profondeur d’esprit était incontestée de son vivant même. Arrêtons-nous sur deux de ses œuvres.
-
Les coustumes du bailliage de Troyes en Champaigne
La médiathèque possède plusieurs éditions de cette œuvre, reprise d’un ouvrage antérieur (voir ci-dessus Les Coustumes du bailliage de Troyes en Champaigne, édition de 1516 possédée par Pierre Pithou, qu’il annota abondamment). Les « coutumes » étaient des usages régionaux qui s’étaient imposés progressivement au Moyen Age, au point d’avoir pris peu à peu force de loi. D’abord transmises oralement, ces règles juridiques furent progressivement rédigées. L’édition de Pierre Pithou ne fut imprimée pour la première fois qu’en 1600, soit après la mort de son auteur. Comme le prouvent les illustrations ci-dessous, François, le frère duquel Pierre était le plus proche, joua un grand rôle, par piété et dévotion fraternelles, dans la publication de l’œuvre.
Les coustumes du bailliage de Troyes en Champaigne avec annotations sur icelles. Un bref recueil des evesques de Troyes. Le premier livre des Mémoires des comtes hereditaires de Champaigne et Brie. La genealogie desdicts comtes, par M. Pierre Pithou… Le tout reveu et augmenté. Sont adjoustez : La conference desdictes coustumes de Troyes, avec les aultres coustumes de France. Li droict et lis coustumes anciennes de Champaigne et Brie. Les ordonnances des roys Philippes le Bel, Louys Hutin, et Philippes le Long, concernans les droicts des nobles, et aultres, dudict comté, 1609 (cote : cab. Loc. 8.360) |
-
La Satyre Ménippée
–> Voir la présentation détaillée de cette œuvre dans la rubrique « Les Pithou, une famille au cœur des guerres de religion »
2. Nicolas Pithou et la Chronique de Troyes et de la Champagne
- Une œuvre longtemps méconnue
Si Pierre Pithou bénéficia d’une reconnaissance intellectuelle et littéraire de son vivant même, la renommée de son demi-frère Nicolas fut beaucoup plus modeste. Sa Chronique de Troyes et de la Champagne (dont le titre original est Histoire ecclesiastique de l’Eglise de la ville de Troyes, capitalle du comté et pays de Champagne de la restauration du pur service de Dieu et de l’ancien ministère en la dicte Eglise, contenant sa renaissance et son accroissement, les troubles persecutions, et autres choses remarquables advenues en la dicte Eglise, jusques en l’an mille cinq cent quatre-vingt et quatorze, par Nicolas Pithou Sr de Chamgobert) ne fut éditée pour la première fois qu’en 1998.
Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Nationale de France. Il s’agit du manuscrit 698 du fond Dupuy. A la mort de Nicolas en 1598, ses papiers furent légués à son frère jumeau Jean. Lorsque celui-ci décéda à son tour en 1603, c’est François, le dernier des frères Pithou, qui en hérita. Pierre Dupuy, qui exerçait la fonction de garde de la Bibliothèque du roi, préleva le manuscrit de la Chronique dans la bibliothèque familiale des Pithou après la mort de François, en 1621. En 1754, la collection Dupuy fut achetée par la bibliothèque du roi.
Le manuscrit avait été recopié, entièrement ou partiellement, à plusieurs reprises. La MAT en possède une copie partielle du XIXe siècle (réalisée par le bibliothécaire de l’époque, Auguste Harmand –fond Mitantier, ms.3027-).
Les extraits utilisés dans ce dossier suivent le texte du manuscrit 698 édité en 1998 par Pierre-Eugène Leroy.
- La vision historique d’un protestant convaincu
Cette oeuvre présente une palpitante histoire de Troyes et de la communauté protestante locale au cours du XVIe siècle, notamment durant la période des guerres de religion. Le tout à travers les yeux d’un homme qui embrassa ouvertement la cause protestante à partir de 1559.
Les guerres de religion contraignirent Nicolas Pithou à un exil prolongé, et il vécut la majeure partie des trente dernières années de son existence en Suisse, même s’il fit durant cette période quelques séjours à Troyes (il y mourut d’ailleurs, en 1598, à 74 ans, et y fut inhumé). La rédaction de cette chronique constitua sans doute pour lui un utile substitut de sa ville, dont il garda toute sa vie une profonde nostalgie. Ayant été un des dirigeants de la communauté protestante troyenne, il se considéra sans doute, de par son esprit trop accommodant et conciliant, comme un des responsables de l’échec et de la disparition de cette communauté, ravagée par les massacres, les exils et les abjurations (les reconversions au catholicisme). Les éclats de passion qui parsèment son œuvre, sa violence littéraire et ses accusations virulentes à l’égard de la « trahison » du patriciat troyen sont, à n’en pas douter, l’expression de ce sentiment de culpabilité.
L’œuvre fait donc montre d’un formidable parti-pris protestant, anti-catholique. Le problème de l’Eglise réformée de Troyes est qu’elle fut une Eglise sans martyrs, qui disparut presque complètement en 1572. Face à ce triste tableau, Nicolas améliore et fausse souvent la réalité, comme par exemple lorsqu’il fait mourir son père en parfait réformé.
Sa vision de l’histoire reflète une constante de la pensée protestante : le providentialisme. Tout événement, même le plus infime, est soumis à la providence divine. Cette histoire est aussi moralisatrice : les mauvais réformés, qui ont trahi la cause, finissent toujours leur existence dans la débauche et le malheur. En cela, il reste proche des clichés des récits médiévaux.
Mais la démarche de Nicolas se veut aussi rationaliste. Pour lui, l’histoire est une succession de faits qui doivent s’appuyer sur des sources pour être considérés comme valides. Il critique les récits extravagants, peu fiables, comme par exemple les légendes sur la fondation de Troyes, ou les histoires extraordinaires inventées par le clergé catholique pour frapper l’imagination des fidèles.
L’œuvre s’avère enfin d’une grande richesse anecdotique. Elle apporte une foule de renseignements sur les coutumes locales, les croyances ou les épisodes tragi-comiques du quotidien troyen et sud-champenois.
–> Des extraits de la Chronique de Nicolas Pithou dans les rubriques « Les Pithou, une famille au cœur des guerres de religion » et « Vivre à Troyes au XVIe siècle »
Suggestion d’activité :
- Reproduisez le tableau suivant et classez-y tous les ouvrages évoqués ci-dessus en fonction de la thématique qu’ils abordent :
|
ouvrages religieux |
ouvrages historiques |
ouvrages juridiques |
ouvrages littéraires |
ouvrages politiques |
manuscrits |
|
|
|
|
|
imprimés |
|
|
|
|
|
- Trouvez des indices, dans les numérisations des ouvrages imprimés, permettant d’expliquer les différentes étapes menant à l’impression d’un livre aux XVIe-XVIIe siècles.
2. François Pithou, bienfaiteur du collège de Troyes
François Pithou est surtout connu pour avoir été l’un des grands bienfaiteurs du collège de Troyes, qui assurait dans la ville l’enseignement secondaire des garçons. Par testament, en effet, il légua sa maison et une grande partie de ses biens (dont la bibliothèque familiale) au collège.
Recueil sur les épîtres(cote MAT :ms 1482)ouvrage de la bibliothèque Pithou qui rejoignit les collections du Collège de l’Oratoire avec ex-libris indiquant que le manuscrit a été légué au Collège de l’Oratoire |
Rappelons quelques faits concernant l’enseignement à Troyes à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle.
A partir du milieu du XVIe siècle, la ville de Troyes possédait un établissement scolaire connu d’abord sous le nom de « Collège de la Licorne », du nom de l’enseigne qui pendait sur l’hôtellerie achetée par l’échevinage pour aménager l’établissement. L’école fut ensuite reconstruite sur un terrain voisin et prit le nom de « Grand Collège » (1601-1630).
L’échevinage de Troyes était chargé de recruter les principaux du collège, qui devaient être de l’Université de Paris et s’inspirer du « modus parisiensis » pour les matières à enseigner : les élèves étaient répartis en différentes classes suivant leur niveau de connaissance, et devaient franchir les classes graduellement pour atteindre la dernière, celle de philosophie ; quant aux pratiques pédagogiques : compositions écrites, débats en grec et en latin, en prose et en vers, déclamations publiques, pièces de théâtre tragiques et comiques…
Dans les années 1620, il y eut sans doute jusqu’à 300 élèves.
Le règlement du Collège de la Licorne à Troyes en 1572 (cote MAT: layette 53, pièce 100) [Transcription]« Comme les anciens avoient si grand soin de faire observer et garder leurs loys, qu’ilz les engravoient en cuivre, et affin qu’un seul les peult lire, les escrivoient aux parois publiques. Ainsi avons-nous faict escrire tant en ce tableau qu’en quelques aultres, pendus aux parois des chambres, les statuts et reglements, par l’observance desquelz il nous a semblé que ce College se pourroit sainctement, et au proffit des escoliers convenablement regit et gouverner : Affin qu’oultre ce quilz seront leus et pronocez par un escholier publicquement et devant tous en la salle tous les samedis, un chascun les puisse lire à toutes heures :
L’ordre en sera tel : Premièrement veu qu’il suffit mesme pour un enfant d’avoir dormi sept heures, ilz se leveront tous à cinq heures après le son de la cloche. Toutefois ceux qui n’auront point encore atteint l’âge de dix ans, seront exceptez, et suffira qu’ilz se levent à six heures. Sortans de leurs litz, ilz en commenceront le jour au nom du Père et du Filz et du Sainct Esprit, se seignants du seigne de la croix et disant devotement et à loisir l’oraison dominicale avec la Salutation evangelique presentée à la Vierge Marie. Ilz se recommanderont à Dieu.
Ilz donneront le bonjour à leurs maistres et à leurs compagnons. Ilz se peigneront. Ilz laveront leurs mains et leur visage. Puis ilz viendront tous ensemble en un lieu destiné et ordonné en la chambre, où ilz remerciront Dieu, disant une oraison ordonnée pour cela de ce qu’il luy aura pleu leur donner heureuse et bonne nuict. Et le prieront pareillement qu’il luy plaise leur bien fortuner(r) tout le jour, et leur faire la grace de ne point tomber en peché. Puis sans tarder ilz prendront leurs livres, et estudieront chacun sa leçon. A sept heures ilz iront deux à deux et modestement à la messe avec les Regents.
Entrez dans l’eglise ils se mettront à genoux et prieront et honnoreront Dieu devotement. Regarderont en leurs heures. Ilz assisteront devotement à la messe entiere. Ilz oiront vespres en pareille devotion. Ilz n’iront jamais à l’eglise sans heures. Quand on les aura menez au sermon, ilz escouteront soigneusement et attentivement le predicateur. Quand ilz seront de retour ilz rendront comte de ce qu’ilz auront apprist. Ilz chemineront aussi deux à deux aiant les testes nues aux processions tant generales que particulieres. Ilz ne causeront aucunement les uns avec les autres, mesme ne se monstreront difformes en aucun geste du corps aux divers offices subjetz.
Ilz osteront leurs bonnets devant toutes honnestes personnes quilz rencontreront. Revenuz de la messe, ilz prendront modestement et par ordre leur desjeuner. Ilz ne le donneront point. Ilz ne le vendront point. Ilz ne le changeront poins à aultre chose. Ilz ne le perdront point en jouant a quelque jeu que ce soit. Le mesme soit entendu du recinez ou gouster.
A huict heures ilz assisteront tous à l’hymne Veni creator par lequel est invocqué à l’aide du Sainct Esprit. Ilz ne jureront point. Ilz ne parleront point françois. Ilz ne feront injure à personne. Ilz ne s’entrebatront point. Ilz ne jetteront point de pierres. Ilz ne feront rien en public de deshonneste et villain. Ilz ne sortiront point de leurs chambres sans necessitez, ou cause honneste que la leçon ne soit sonnée. Ilz seront tous aux classes pour ouir l’observation tant ordinaire qu’extraordinaire de bonne heure et avant que les Regentz soient entrez. Estant debout ilz prononceront leur leçon par cœur devant leurz Regentz. Ilz scauront parfaitement l’ordre et la construction de leur texte. Ilz entendront toutes les particularites d’iceluy. Les leçons ordinaires estant faictes, ilz disputeront de leur leçon.
Les disciples tant de la premiere que de la seconde classe liront une sepmaine entiere la Bible en la salle. Ceux de la troisieme et quatrieme feront la benediction de la table, et chanteront les graces.
Personne ne se asseoirra à table sans avoir lavé ses mains. Chascun estant assis bien seammant à table mengera sa portion en la salle. Il ne la donnera point, il ne la changera point, il ne la perdra point en jouant en aucune sorte.
Ilz assisteront tous à la benediction, à la lecture de la Bible, et aux graces.
Ceux qui auront esté vaincuz de leurs compagnons par dispute, les graces dictes tant du disner que du soupper, prononceront leur texte par cœur devant les Regentz, et ne le feront point prononcer par un aultre.
Nulz ne se tiendront en la cour ny aux classes les leçons faictes ou graces dictes, sans necessité ou cause honneste et legetime si congé de jouer n’a esté donné, ains ilz se retireront incontinant en leurs chambres.
Ilz feront honneur et reverance à tous les Regentz du College. Ilz osteront leurs bonnets devant eux quelquepart où ilz se trouveront. Nul ne sortira sans le congé du President ou du Principal, ou en l’absence diceux, de l’un des Regents.
Deux observateurs seront constituez qui accuseront ceux qui auront delinqués et failly ou aux classes ou en la court, ou en quelque lieu que ce soit.
Il y aura davantage un observateur particulier en chascune classe et en chascune chambre duquel seront pareillement accusés les delinquents et faultants. A six heures du soir les disputes finies ilz chanteront le salut. A neuf heures du soir ils chanteront en leur chambre l’hymne Christe qui lux et on dict avec quelques auttres oraisons et suffrages, tant pour remercier Dieu des graces quil leur aura faictes, que pour se recommander a luy pour la mort prochaine.
Puis s’en allant en leurs lictz ilz donneront le bon soir à leur maistre et à leurs compagnons.
Et se couchant ilz se seigneront du signe de la croix au nom du Père et du Filz et du Sainct Esprit, et diront l’oraison dominicale aux autres prieres quilz auront accoustumez de dire.
Ceux qui feront contre ces statuts et reglements, seront punis pour l’egard de la faulte commise.
Des statuts qu’observeront les regentz
Les Regentz seront tous de la religion catholique et romaine, aultrement ilz seront incontinant devestez du College.
On fera leçon les dimanches et les festes d’un catechisme receu et approuvé de la faculté de Theologie de Paris ou d’aultres praeceptes appartenans à la cognoissance et intelligence de messieurs for en religion. Deux Regents pour le moins meneront les enfants à la messe et les rameneront.
Quant à faire les leçons et en toutes aultres choses ilz ensuivront lesd. coustumes observées [par] les Colleges de Paris.
Ilz ne sortiront point due College pour demeurer longtemps dehors sans advertir le President ou le Principal. » |
–> Par quels moyens ce règlement était-il porté à la connaissance des élèves ?
–> Relevez les preuves de l’importance de la religion dans l’éducation fournie par le collège.
–> Montrez que le règlement cherche à contrôler tous les aspects de la vie quotidienne des collégiens.
En 1603, l’ordre religieux des Jésuites, qui avait été interdit en France suite à la conversion de Henri IV au catholicisme (les Jésuites avaient été de farouches ligueurs, hostiles à Henri IV, et favorables à l’Espagne) fut rétabli. Les Jésuites cherchèrent à s’implanter sur Troyes. Mais les notables troyens y étaient hostiles prétextant auprès de l’évêque « que les Jésuites n’étoient nécessaires en leur ville ; qu’ils avoient un collège duquel leurs pères s’étoient contentez. Que l’ancien qui a cousté plus de 10000 escus est trop petit pour les loger. Certes, tout le bien que l’on pouvait espérer de leur establissement à Troyes, regardoit principalement l’instruction de la jeunesse et la commodité qui en arriveroit au pays par l’affluence de cinq ou six cents escholiers ; lesquels faisant leur demeure en la ville y apporteroient quelques commodités et faciliteroient la vente et le débit des fruicts et denrées de la province ». Mais, « le principal talent de la ville de Troyes estant le commerce, non l’estude des lettres, il est très certain que cinq ou six mestiers y apporteroient beaucoup plus de commodités que ne feront mille ou deux mille escholiers… ». « D’ailleurs que la ville estant fort sujette au feu, pour n’estre bâtie que de bois, la négligence des escoliers pourroit estre cause de grands inconvénients ».
Pendant plus d’un siècle, les Troyens refusèrent d’accueillir des Jésuites parmi eux. La tradition familiale de François Pithou (son frère Pierre était tout de même l’un des rédacteurs de la Satyre Ménippée, farouchement hostile à l’Espagne !) le confortait dans cette opinion, d’autant que la rumeur rendait les Jésuites responsables de l’assassinat de Henri IV en 1610. Dans son testament rédigé en 1617, François légua donc au collège sa maison et une partie de ses biens, à condition que les Jésuites en soient exclus. Il avait fait lui-même construire cette maison, après avoir progressivement acheté toute une série de terrains sur lesquels se trouvaient des bâtiments plus ou moins insalubres, à l’endroit où se dresse actuellement le marché couvert de Troyes.