Pistes d’exploitation pédagogique, notes de lecture, bibliographie…
I- Pistes d’exploitation possibles de l’œuvre de Rétif de la Bretonne :
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Le monde des métiers et de l’imprimerie au XVIIIe siècle :
voir dossier pédagogique.
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L’autobiographie/écriture-réécriture/introspection et autoanalyse/le fantasme « mis en réalité » dans le roman.
Par sa période d’écriture, Monsieur Nicolas suit de peu Les Confessions de Rousseau. De nombreux épisodes de sa vie, et de nombreux fantasmes, sont traités à plusieurs reprises par Rétif dans ses ouvrages, souvent de façon bien différente (comparer par exemple l’épisode du viol de Colette Parangon dans Le Paysan perverti et dans Monsieur Nicolas).
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Le fait divers, à travers, notamment, Les Nuits de Paris.
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Le genre romanesque.
Le thème de la déchéance du héros tient une place importantes chez Rétif (Le Paysan perverti, La Paysanne pervertie). Certains de ses personnages annoncent des héros célèbres de romans de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle. Daniel Baruch (voir bibliographie) présente ainsi le personnage de Gaudet d’Arras, dans Le Paysan perverti, comme la naissance d’un type romanesque : « Face à Edmond/Rétif c’est Vautrin face à Rastignac, promettant fortune et succès appuyés sur le crime et le mépris des hommes ; face à Ursule, c’est Valmont/Merteuil dépravant Cécile. » De même, la petite prostituée Zéphire « esquisse le mythe de la putain au grand cœur régénérée par l’amour, cher au XIXe siècle. »
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Du texte à l’image.
Le travail sur les éditions originales (ou les rééditions reproduisant les illustrations d’origine) permet d’étudier la mise en image des textes de Rétif. Celui-ci a en effet porté une attention extrême à la réalisation des gravures illustrant ses œuvres, tenant à ce qu’elles apportent un supplément d’information par rapport au texte, et choisissant avec soin les épisodes à illustrer. Le graveur Binet a été en la matière le collaborateur le plus fidèle de Rétif, matérialisant par l’image l’idéal féminin de l’écrivain.
Voir aussi, dans un autre genre, les gravures de La Découverte australe, visibles sur le site de la médiathèque. Un travail d’arts plastiques ou de français peut être envisagé sur le sujet (voir sur le site notre proposition autour de La Découverte australe).
A signaler également l’importance accordée par Rétif à l’utilisation d’une typographie « signifiante » dans ses éditions originales (voir notamment les différentes tailles de caractères employées dans Mon Calendrier pour évoquer les femmes de sa vie, en fonction du rôle plus moins grand qu’elles y ont joué, les femmes « faciles » étant citées en italiques).
II- Quelques notes de lecture autour de Rétif de la Bretonne, sur les thèmes des métiers, de l’imprimerie, de la censure, de la police… au XVIIIe siècle.
Références des ouvrages cités :
- ANTOINE Michel, Louis XV, Fayard, 1989 (cote MAT : 944.034 LOUI)
- BARUCH Daniel, Nicolas Edme Restif de la Bretonne, Fayard 1996. (cote MAT : L 840 RETI)
- CABOURDIN Guy et VIARD Georges, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Armand Colin, 1990 (cote MAT : 944.03 CABO)
- Catalogue de l’exposition « Je suis né auteur pour ainsi dire, Rétif de la Bretonne, 1734-1806 », Bibliothèque municipale d’Auxerre, 2006.
- COMBIER Marc et PESEZ Yvette (dir.), Encyclopédie de la choses imprimée du papier à l’écran, Retz, 1999 (cote MAT : 686.2 ENCY)
- MINARD Philippe, Typographes des Lumières, Champ Vallon, 1989 (cote MAT : 686 MINA)
- RIVAL Ned, Rétif de la Bretonne ou les amours perverties, Perrin, 1982 (cote MAT : L 840 RETI)
- TESTUD Pierre (éd.), Monsieur Nicolas de Nicolas Rétif de la Bretonne, Pléiade, 1989 (cote MAT : L 840 RETI)
1. Les métiers du livre sous l’Ancien Régime : généralités
Les métiers
« Les métiers (ou corporations, dont le terme apparaît seulement vers le milieu du XVIIIe siècle) sont des groupements professionnels. On distingue les métiers dits libres ou réglés, et les métiers jurés. Les métiers réglés sont en fait contrôlés par les municipalités qui peuvent édicter des statuts et les surveiller par la police locale. […] On peut entrer dans le métier réglé sans exigence de capacité […]. Les métiers jurés constituent des groupements professionnels autonomes avec personnalité juridique propre et discipline collective stricte, composés de membres égaux, unis par un serment (d’où les mots de métier juré et de jurande). Ceux-ci se réunissent pour traiter de leurs intérêts, discuter leurs règlements et leur budget. Les conditions d’apprentissage et d’accès à la maîtrise, par la production du chef-d’œuvre, sont déterminées avec précision dans chaque métier. […]L’apogée des métiers se situe au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. Ces associations dépendent d’une étroite oligarchie renforcée par une forte endogamie. Mais elles apparaissent au XVIIIe siècle comme des corps uniquement jaloux de leurs prérogatives et hostiles aux novations techniques. […]Le mouvement des idées, tourné vers le libéralisme, les condamne avec fermeté […]. La venue de Turgot au pouvoir amène la condamnation provisoire des métiers trop préoccupés de « la recherche de leurs intérêts au détriment de la société générale » : l’édit de février 1776 supprime les métiers sans indemnité, ainsi que les confréries […]. Après le départ de Turgot, Maurepas, par l’édit d’août 1776, rétablit les métiers, mais en réduisant leur nombre, en simplifiant leur régime, et en ne les rendant pas partout obligatoire. L’abolition des métiers sera l’œuvre des Constituants […] par la loi Le Chapelier, le 14 juin 1791. [Cabourdin et Viard, article « métier]
« L’apprentissage […] est l’action d’apprendre un métier, particulièrement dans le monde de l’artisanat et du petit commerce. […]. L’apprenti est placé chez un maître, à qui il doit respect et obéissance. Ses parents ou tuteurs signent un contrat d’apprentissage devant notaire. Le maître s’engage à lui apprendre le métier sans rien lui cacher pendant une durée variable (un à trois ans). Il le loge, le nourrit et parfois l’habille : on dit qu’il le prend « à son pain, à son pot et à son œuvre ». Les parents ou tuteurs, en échange, versent une somme d’argent payable souvent en plusieurs fois. […]. A la fin de l’Ancien Régime apparaît l’idée d’un enseignement technique de base. » [Cabourdin et Viard, article « apprentissage »]
« Le compagnonnage constitue un niveau intermédiaire entre l’apprentissage et la maîtrise. Dans la plupart des métiers, l’apprenti doit devenir compagnon et le rester plusieurs années (en général, sept) avant de devenir maître. Il est donc un ouvrier salarié, âgé de 18 à 25 ans environ. L’élite des compagnons […]se réunit dans des sociétés très fermées, les Devoirs, attestées depuis le début du XVIe siècle. Leur rôle vis-à-vis des apprentis supplante parfois celui du maître. Les devoirants organisent des grèves et des boycotts. Interdites, les sociétés deviennent secrètes, avec des rites d’initiation, des termes particuliers de langage, des signes de reconnaissance, des symboles, des règles de vie. » [Cabourdin et Viard, article « compagnonnage]
L’imprimerie
« La création des ateliers se fait d’abord de façon un peu anarchique, sous la tutelle de l’université ou le contrôle des autorités ecclésiastiques. Mais le pouvoir royal intervient très rapidement. Dès 1521, François 1er établit un système d’autorisation préalable pour l’impression d’ouvrages théologiques, bientôt étendu à toute la production livresque. Après 1563, le roi est le seul dispensateur des privilèges nécessaires à toute impression. La censure ne cesse plus dès lors de s’exercer en se perfectionnant. Après 1626, les ateliers de Paris et de Lyon sont les seuls autorisés à imprimer toutes sortes d’écrits (avec permission) ; ailleurs, les imprimeurs doivent se limiter aux livres d’heures, catéchismes, almanachs, thèses et manuels scolaires. Colbert cherche à limiter le nombre des imprimeurs. En 1666,il interdit de recevoir de nouveaux maîtres à Paris (où il y a alors ateliers et 216 presses), et la mesure est étendue au reste du royaume en 1667. En 1683, le nombre des imprimeries est théoriquement limité à Paris (36) et en province. Cette mesure est progressivement appliquée ; la vente du matériel typographique est étroitement contrôlée ; les ateliers ne peuvent s’installer que dans certaines rues du quartier Latin et de la Cité, à Paris ; toute imprimerie doit, en 1686, posséder au moins quatre presses et neuf sortes de caractères romains et italiques. Cette politique entraîne la disparition des petits ateliers et un début timide de concentration. En 1701, Paris compte 51 imprimeries, avec 339 compagnons et 41 apprentis ; un seul atelier regroupe alors plus de 9 presses et emploie plus de 20 personnes. L’imprimerie royale, fondée en 1640, fonctionne au Louvre ; dirigée de 1691 à 1794 par la dynastie des Anisson, elle est chargée d’éditer des ouvrages d’érudition (œuvres byzantines), des traités scientifiques et des ouvrages de prestige. En dehors de la capitale, l’imprimerie végète, même à Lyon. Seule l’imprimerie troyenne se maintient à un bon niveau d’activités : vers 1730, une dizaine d’ateliers éditent une bonne part de la littérature populaire, almanachs et Bibliothèque bleue […]. Les arrêts de 1704 et 1739 limitent le nombre d’imprimeurs dans toutes les villes du royaume. Une partie de l’édition cherche alors refuge à la périphérie du royaume ou dans cette enclave privilégiée qu’est alors Avignon […].
Dans le même temps, la surveillance policière ne cesse de s’appesantir sur le monde des imprimeurs. Dès l’origine, les ouvriers de l’imprimerie apparaissent dangereux. Obligatoirement munis d’un certain bagage intellectuel, ils se forgent très tôt une conscience de classe ; en témoignent les grèves vigoureuses qu’ils soutiennent à Paris et à Lyon en 1539-1542, et leur puissant compagnonnage. Le pouvoir royal et les maîtres des métiers tentent d’entraver leur action en renforçant l’organisation corporative. Mais la politique de limitation du nombre d’ateliers, les difficultés accrues d’accès à la maîtrise provoquent aussi le mécontentement des petits artisans. Ce dernier explose lors des grandes crises politiques (Ligue, Fronde). Une concurrence acharnée oppose les maîtres imprimeurs pour l’obtention de titres (imprimeur du roi, du parlement, de l’archevêque…) et de privilèges. Ces divisions favorisent finalement la politique royale. » [Cabourdin et Viard, article « imprimerie »]
« La plupart des métiers urbains qualifiés du XVIIIe siècle, ceux qu’on appelle les métiers jurés, perpétuent le modèle né au Moyen Age. Chaque profession forme une communauté de métier, dotée d’une personnalité morale et juridique, avec ses règlements, ses traditions… Mais si tous les membres de la professions appartiennent bien au métier, une hiérarchie distingue les membres "actifs" et véritables, les maîtres, de ceux qui n’ont qu’un rôle passif et subalterne, les compagnons. Ceux-ci, un jour prochain, sont censés parvenir à leur tour à la maîtrise et laisser leur place aux apprentis, alors promus compagnons. Mais la limitation des réceptions à la maîtrise dans l’Imprimerie-Librairie à partir du XVIIe siècle entraîne effectivement une réaction malthusienne des dynasties patronales, tendant à préserver les places disponibles, excluant ainsi tout espoir de promotion pour les compagnons. Dès lors, le système se détraque.
Lorsqu’il entre dans l’imprimerie, le novice est confié à un "ancien", plus avancé dans son apprentissage, qui lui laisse les tâches les plus ingrates. C’est que les compagnons n’aiment guère les apprentis, qui représentent pour eux une concurrence déloyale. Les maîtres tendent à en multiplier le nombre parce que cette main-d’œuvre est gratuite. Aussi les ouvriers rechignent-ils à enseigner les secrets de leur art aux apprentis. Mais lorsque arrive un nouvel apprenti, le précédent commence la seconde phase de son apprentissage il est alors délivré de l’esclavage d’être le dernier. D’autre part, les apprentis s’instruisent les uns les autres, ou plutôt apprennent d’eux-mêmes. L’apprentissage semble ressortir à la condition de domestique. L’apprenti ne peut prétendre au salaire et à la liberté qui sont le privilège du compagnon confirmé. L’enjeu est bien d’inculquer au futur compagnon –et non au futur maître- les notions techniques qui lui seront indispensables mais surtout les principes d’une discipline à laquelle il restera soumis pendant toute sa vie professionnelle » [Minard]
La censure
« […]L’avènement du livre imprimé accroît, aux débuts des Temps modernes, les dangers de la diffusion des idées réformées. Les premier acte royal intervient en 1521 : François 1er exige, pour la publication des livres de théologie, une autorisation préalable d’imprimer, accordée par l’université de Paris. Le privilège, qui complète l’autorisation, accorde l’exclusivité d’édition pour un livre pendant un temps déterminé.
Les difficultés surgies entre le pouvoir royal et l’université, attachée à préserver le traditionalisme, permettent au parlement d’exercer également la censure, droit qui lui est aussi attribué en 1526 et confirmé en 1537. Les livres de théologie doivent donc subir une double censure.
Depuis 1537 est institué le dépôt légal obligatoire d’un exemplaire de chaque imprimé à la Bibliothèque royale de Blois.
A la suite d’un conflit avec le parlement, qui tolère la publication, après la mort d’Henri II, d’ouvrages peu favorables au pouvoir monarchique, les lettres patentes de 1563 laissent à l’université l’examen préalable des livres, mais réservent au roi seul le pouvoir d’accorder l’autorisation d’imprimer. Et, en 1566, l’ordonnance de Moulins fait défense aux libraires d’imprimer sans permission scellée du grand sceau de la Chancellerie.
[…] A partir de 1639, le chancelier désigne les censeurs pour chaque manuscrit. […] La censure devient alors le fait de l’autorité royale, avec la suppression des privilèges généraux (1673) : en principe, aucun livre ne doit être imprimé sans permission spéciale.
L’essor des Provinces Unies et la tolérance qui y règne favorisent l’impression des ouvrages d’auteurs français qui pénètrent ensuite en contrebande dans le royaume. Les querelles religieuses provoquent dans les premières décennies du XVIIIe siècle une recrudescence de la publication de libres et libelles, ainsi que des mesures destinées à la freiner. Afin de rendre plus efficace le contrôle des livres imprimés à l’étranger, le règlement de 1723 limite le droit d’entrée à dix villes. Les règles ne sont assouplies qu’en 1777. […]
Le nombre des censeurs augmente sans cesse : 73 en 1745, ils sont 178 en 1789. Le chancelier a la tâche de les nommer et de veiller à la "librairie". Il délègue en général ses pouvoirs au "chef de bureau de la librairie", appelé, à partir de 1750, "directeur général de la librairie". Parmi les principaux personnages chargés de cette importante fonction, Malesherbes (1750-1763), d'esprit libéral.
Depuis sa création en 1667, le lieutenant général de police a compétence pour connaître des délits concernant la librairie et l'imprimerie; il est assisté, au XVIIIe siècle, d'inspecteurs de la librairie. La loi est rigoureuse et permet la répression. Mais les moyens de la tourner sont multiples: perméabilité des frontières, impressions clandestines, complicités diverses et, surtout, vente des ouvrages prohibés par les colporteurs. Le gouvernement lui-même développe l'usage des permissions tacites et des autorisations verbales. En réalité, l'obstacle à la liberté d'expression écrite n'est pas limité à l'action gouvernementale. Le clergé tente de reprendre quelque influence vers la fin de l'Ancien Régime. Le parlement surtout mène une action répressive, prescrivant l'interdiction de vente et de diffusion. Les auteurs de livres séditieux ou immoraux sont condamnés sévèrement alors que, pour les écrits philosophiques et littéraires (Lettres philosophiques, Le Contrat social, De l'esprit) l'œuvre est frappée, mais rarement l'écrivain. Dans les faits, la monarchie française fait alterner la rigueur et le laisser-aller. » [Cabourdin et Viard, article « censure »]
« Traditionnellement, la police de l’imprimerie et de la librairie relevait de la chancellerie, où elle était confiée à un personnage qualifié de directeur de la librairie. Il n’était pas désigné par le roi mais par le chancelier ou le garde des sceaux, sous la responsabilité duquel il avait mandat exclusif de traiter ces affaires et qui en déléguait le soin à un membre de sa famille ou à un de ses intimes. Les fonctions de directeur de la librairie étaient délicates et fort ambiguës. D’une part, en effet, il était tenu d’appliquer une réglementation restrictive, mais, par ailleurs, il devait aussi protéger l’édition française de la double concurrence des presses étrangères et des publications nationale clandestines. Deux tâches plutôt contradictoires. N’étaient autorisées à paraître dans le royaume que les livres dont les auteurs avaient obtenu un privilège d’impression, délivré sur approbation du manuscrit par un censeur royal. Ce privilège était lui-même un titre équivoque : il avait en principe et en fait un rôle tutélaire visant à protéger à la fois le droit moral des écrivains sur leurs œuvres et les libraires de la concurrence et des contrefaçons ; il était aussi une précaution de l’autorité royale envers les écrits contraires à la religion, à l’État et aux bonnes mœurs. Mais le domaine du livre et des journaux est l’un de ceux où les opérations clandestines sont en pratique impossibles à contrecarrer, qu’il s’agisse d’importation, d’impression ou de diffusion. Aussi les libraires français se plaignaient-ils de plus en plus de voir leurs concurrents, surtout hollandais, tirer bénéfice de la publication d’ouvrages qu’on leur avait interdit d’éditer et qui, finalement, se trouvaient en France entre toutes les mains. Ces arguments d’ordre économique conduisirent à des mesures d’un pragmatisme assez frappant. Directeur de la librairie entre 1729 et 1732, Chauvelin imagina une nouvelle forme de permission, en contradiction avec l’esprit de la législation : la permission tacite. C’était une autorisation accordée par le directeur de la librairie à un libraire français pour diffuser en France un ouvrage théoriquement édité à l’étranger, mais dont on savait pertinemment que, sous le couvert d’une adresse étrangère ou fantaisiste, il avait été en réalité imprimé dans le royaume. Ainsi fut instauré, en marge de la règle officielle du privilège, un régime de tolérance officieuse. » [Antoine]
« Un carton est une partie de feuille (ne formant pas à la reliure un cahier complet) imprimée après l’achèvement du tirage et destinée à remplacer un feuillet dont la censure a ordonné la suppression. Il peut s’agir parfois d’une modification décidée par l’auteur. » [Testud]
L’édition et le commerce des livres
« Le commerce du livre prend, après l’invention de l’imprimerie, une ampleur nouvelle. Les deux activités sont du reste étroitement liées. Beaucoup de libraires sont aussi imprimeurs. Les grands marchands-libraires, éditeurs de la plupart des livres, imposent leurs conditions aux artisans imprimeurs et aux simples revendeurs et colporteurs. Une même jurande, une même confrérie regroupent le plus souvent libraires et imprimeurs ; les textes législatifs réglementant le livre concernent les deux métiers.
L’édition, qui suppose d’importants investissements, se concentre de plus en plus entre les mains de puissants marchands-libraires parisiens. Encore très actives au XVIe siècle, les éditions provinciales (Lyon, Rouen) reculent très sensiblement ensuite. Plus proches du pouvoir, les maisons parisiennes obtiennent plus facilement les privilèges nécessaires à l’impression. Elles trouvent plus aisément des capitaux. Elles attirent les auteurs réputés. Pourtant, à la fin du XVIIIe siècle, les éditeurs provinciaux bénéficieront assez largement des "permissions simples", c’est-à-dire des autorisations de réédition d’ouvrages anciens (arrêt de 1777), et des permissions tacites, liées à l’appui des autorités locales (le parlement de Rouen par exemple). Cela ne suffira pas pour leur faire retrouver une activité d’envergure. La concentration parisienne facilité grandement le contrôle royal. Celui-ci s’exerce de multiples façons : par les privilèges ou permissions d’imprimer, par la censure, par la surveillance constante des officines. Celle-ci est exercée par le syndic de la corporation, par les autorités ecclésiastiques et universitaires, par les officiers du roi. Elle est encore renforcée au XVIIIe siècle par la réorganisation du service royal de la censure et de la "Librairie", la multiplication d’inspecteurs de la Librairie, la création de chambres syndicales de libraires et imprimeurs, qui regroupent, à l’échelon régional, tous les membres des professions du livre.
La diffusion des ouvrages s’effectue grâce à tout un réseau de libraires et de colporteurs. Longtemps, ces derniers viennent se ravitailler aux foires de Lyon avant de s’adresser plus directement aux éditeurs. En pratique, les libraires vendent quatre types de livres : ceux qu’ils ont pu imprimer eux-mêmes, ceux qu’ils ont reçus des éditeurs parisiens, ceux qu’ils ont obtenus par échange avec des libraires étrangers, les livres de contrebande. Le commerce du livre clandestin fleurit partout, faisant fi de tous les châtiments. Imprimé à Paris ou à Rouen, mais plus encore à l’étranger (Angleterre, Hollande, Suisse, Avignon), l’ouvrage interdit circule dans toues les provinces. A la fin du XVIIe siècle, l’inventaire des livres saisis à Paris traduit la prépondérance des problèmes religieux, jansénistes ou protestants (52% des titres), loin devant les attaques politiques (9,5%), les textes littéraires (9,5%) ou historiques (7,5%). Au XVIIIe siècle, si le domaine politique représente encore 10%, les questions religieuses tombent à 27% ; par contre apparaît toute une littérature philosophique (8%) et érotique (10%).
[…] Au XVIIIe siècle, les nouvelles éditions trahissent l’influence croissante des Lumières. Mais les rééditions rappellent le poids considérable de la tradition. […] Le best-seller de l’époque est L’Ange conducteur dans la dévotion chrétienne ou pratique pieuse en faveur des âmes dévotes, avec 51 éditions, dans une quinzaine de villes différentes, soit un tirage d’environ 100 000 exemplaires. Et Voltaire se plaint que les livres les plus lus restent les almanachs et qu’on en tire 100 000 exemplaires par an.. [Cabourdin et Viard, article « librairie »]
Les livres dans les milieux populaires
« Dans les milieux populaires, posséder un livre est beaucoup plus rare [que dans les milieux aisés]. Cependant, destinés à cette clientèle, se multiplient aux XVIIe et XVIIIe siècles de petits ouvrages peu coûteux […], sur mauvais papier, à base d’almanachs, de calendriers, de récits plus ou moins merveilleux. Ainsi, des collections imprimées à Troyes, auxquelles la couleur des couvertures a valu le nom de Bibliothèque bleue, et qui circulent jusque très avant dans le XIXe siècle. Des colporteurs, étroitement surveillés (45 autorisés en 1611, 50 en 1635, 120 en 1712, astreints au port d’une plaque spéciale en 1723, punis de mort pour diffusion de livres clandestins en 1757), répandent, surtout dans les campagnes, cette littérature anonyme, écrit spécialement « pour les pauvres », « pour ceux qui ont très peu de temps ». Les thèmes se répètent inlassablement : médecine populaire, herbes médicinales, secrets pour l’amour, cuisine, jardin, prophétie, astrologie, miracles, prodiges et curiosités, nouvelles du jour, règles de savoir-vivre, histoire sainte, catéchisme… Les inventaires après décès ne signalent jamais l’existence de ces médiocres livrets dont on ne peut par conséquent mesurer la diffusion. Celle-ci est certainement considérable, d’autant que ces brochures participent à l’animation des veillées campagnardes : elles contribuent donc très largement à façonner les mentalités populaires. [Cabourdin et Viard, article « bibliothèque »]
« [Le colportage] est, au sens strict, le portage « à col », à dos d’homme. Ce moyen de transport très rudimentaire occupe une place importante dans les échanges et sur les routes. […] Avec des objets de mercerie et de petite quincaillerie, ces colporteurs présentent livrets et opuscules peu coûteux. Au XVIe siècle, ils contribuent ainsi à la diffusion du protestantisme en répandant un peu partout de petits ouvrages imprimés en Allemagne ou à Genève. C’est pour cela et parce qu’ils sont responsables de la propagation de toute la littérature populaire que le pouvoir royal entreprend de les surveiller et d’en limiter le nombre. [Cabourdin et Viard, article « colportage »]
Le papier
« En un temps où chaque feuille de papier est fabriquée séparément à partir de pâte de chiffons par des artisans hautement spécialisés, le papier coûte autant que le travail des compositeurs et des pressiers combiné. » [R. Darnton, Le grand massacre des chats, Laffont, 1985, cité dans Baruch p.135]
L’Encyclopédie
« […] A l’origine se trouve le projet du libraire parisien Le Breton de traduire la Cyclopaedia or an Universal Dictionary of Arts and Sciences d’Ephraïm Chambers, parue à Londres en 1728 […] Le contrat est signé entre Le Breton et les codirecteurs Jean d’Alembert et Denis Diderot le 16 octobre 1747, le privilège royal obtenu le 30 avril 1748. Les dix volumes prévus en 1750 se transforment en dix-sept volumes de texte (1751-1765) et onze de planches (1762-1772), sans compter les cinq volumes supplémentaires (1776-1777) et les deux tomes de tables (1780) publiés hors du contrôle de Diderot. D’Alembert s’étant retiré en 1758, celui-ci demeure seul à la tête de l’entreprise, entouré d’innombrables collaborateurs. Les difficultés ne manquent pas, liées surtout à l’hostilité déclarée des parlements et des jésuites. Le gouvernement manifeste par contre une neutralité bienveillante. Malgré la condamnation parlementaire du 23 janvier 1759, le retrait du privilège royal le 8 mars suivant, la mise à l’index par Rome le 3 septembre, la publication se poursuit, Le Breton censurant ce qui lui paraît trop audacieux. Le gouvernement n’a aucun intérêt à suspendre cette énorme affaire commerciale : la « manufacture encyclopédique » donne du travail à un millier d’ouvriers pendant 25 ans ; autant garder en France le bénéfice de l’entreprise. L’Encyclopédie n’a pas un contenu toujours homogène. Elle reflète cependant les croyances fondamentales du siècle, la raison, le bonheur, le progrès. Elle présente une image assez fidèle des connaissances de l’époque, bien que retardataire en matière technique, elle défend l’ordre politique et social, tout en préconisant une certaine libéralisation de l’économie, la tolérance, une meilleure répartition des revenus publics. Sans vraiment développer l’athéisme de son directeur, elle s’en tient à des positions déistes, attaquant très directement, mais de façon voilée, le christianisme et l’Église. Ce contenu explique le grand succès de l’Encyclopédie. Celui-ci ne se mesure pas seulement aux 4000 souscriptions initiales ni aux sept éditions successives. L’ouvrage pénètre dans de nombreuses bibliothèques publiques et privées, atteint un public très large aussi bien à Paris qu’en province. Il reste l’un des monuments les plus caractéristiques du siècle des lumières. [Cabourdin et Viard, article « Encyclopédie »]
Les gravures
« Les premières xylographies (obtenues par une gravure en relief sur bois) […] après l’invention de l’imprimerie, servent à illustrer les premiers livres. […] Longtemps la littérature populaire reste fidèle à ces bois un peu frustes et, jusqu’au XVIIIe siècle, les éditeurs troyens les utilisent dans les ouvrages de la Bibliothèque bleue. Colporteurs et missionnaires les répandent à travers les campagnes, où ils représentent généralement le seul décor artistique des maisons paysannes. Cependant, dès le XVe siècle, les procédés de la gravure se perfectionnent. Au bois, on préfère de plus en plus la gravure sur cuivre au burin ou à la pointe sèche, puis l’eau-forte, où le dessin est obtenu par action d’un acide sur le métal. » [Cabourdin et Viard, article « gravure »]
II- Quelques notes de lecture autour de Rétif de la Bretonne, sur les thèmes des métiers, de l’imprimerie, de la censure, de la police… au XVIIIe siècle.
2. Sur Fournier et son imprimerie
L’histoire de l’imprimerie Fournier
« Une grosse affaire, l’imprimerie Fournier. Trente-deux ouvriers ou compagnons, des apprentis. Sa situation de monopole assurait la prospérité de l’entreprise. Aux commandes de l’évêché et du chapitre, qui constituaient un fond de roulement régulier, s’agrégeaient une foule d’ouvrages en majorité religieux ou destinés à l’enseignement janséniste, un almanach local, une publication périodique comme on en trouvait partout alors. Une quarantaine de milliers d’exemplaires sortaient des presses chaque année. Fournier était aussi libraire et vendait, avec ses propres productions, quantité de dictionnaires, de manuels pratiques ou de livrets populaires, et quelques rares ouvrages de littérature du XVIIe siècle. Dans sa boutique, on se fournissait en papier, en plumes, en encre. Pour parer à toutes les calomnies que Restif a déversées sur son premier patron, disons d’emblée que Fournier était loin d’être un imbécile grossier. Très soucieux de l’élégance et de la clarté de sa typographie, rédigeant parfois la préface d’un livre, il avait activement contribué à la création d’une bibliothèque scientifique. A Auxerre, on l’estimait au point d’en faire un juge-consul. Son imprimerie était si solide qu’elle lui survécut longtemps après sa mort, en 1787. Un de ses fils lui succéda, puis un descendant, qui fut député d’Auxerre ; sous le nom de celui-ci, Gallot, l’imprimerie poursuivit sa carrière jusque tard dans le XIXe siècle. Mais elle n’occupait plus alors les locaux situés entre les actuelles rue de l’Horloge et place des Cordeliers. » [Baruch, p.73]
« L’imprimerie de Michel-François Fournier (1710-1787) était importante. Il avait depuis 1742 le titre d’imprimeur-libraire de la ville d’Auxerre, donc le monopole de cette activité (un édit de 1686, confirmé en 1704 et en 1739 n’accordait en effet à Auxerre qu’une maîtrise d’imprimeur. Fournier avait dû en attendre la vacance pour postuler, et l’avait emporté sur Louis-Gabriel Michelin. Il appartenait à une célèbre famille d’imprimeur. Son père était imprimeur à Paris depuis la fin du XVIIe siècle. » [Testud]
Les bâtiments de l’imprimerie Fournier
« Entre rue de l’Horloge et cour, la maison avec la librairie suivie d’une grande salle, à manger mais à coucher aussi (il y a une alcôve pour les Fournier, qui disposent d’une chambre au premier étage, à côté d’une pièce plus petite servant d’entrepôt) ; l’arrière donne sur une cour, longue et resserrée, qui mène à l’imprimerie installée dans une maison de deux étages à toit pointu et peu large, deux fenêtres en façade sur la place des Cordeliers. Contre elle, dans la cour, un pavillon qui contient la vaste cuisine, où dort la domestique, des latrines et deux chambres à l’étage dévolues au personnel. Au rez-de-chaussée de l’imprimerie, la tremperie, car il fallait mouiller les feuilles avant de les imprimer ; au premier une pièce renfermait une presse unique, confiée au doyen de l’équipe, qui devait peiner à gravir les marches, le matériel nécessaire aux "ouvrages de ville" [travaux destinés aux particuliers, affiches, avis, faire-part…], et le cabinet de reliure ; au second les casses et toutes les autres presses, plus un réduit sous l’escalier qui monte au grenier. » [Baruch, p.75]
3. Rétif, l’imprimerie et la censure
Rétif publie son premier roman : La Famille vertueuse
« Ce n’est pas tout d’avoir écrit un livre [La Famille vertueuse, son premier roman]. Le paraphe d’un censeur est une formalité indispensable pour qu’il puisse être imprimé. C’est le directeur de la Librairie, Sartine, qui désigne le censeur, chargé de l’examen à ses risques et périls : qu’une publication autorisée fasse l’objet de poursuites, de la Sorbonne ou du Parlement, il y perd sa place. La Famille vertueuse n’avait rien pour effaroucher, et le censeur Albaret était un "bon homme" ; en cas de litige sur des "gaudrioles", il suffisait de lui graisser la patte. Albaret se fendit, le 9 janvier 1767, d’une approbation machinale : "Ce roman a le double mérite d’intéresser et de remplir son titre, et je n’y ai rien trouvé qui puisse en empêcher l’impression." Maintenant muni du privilège, il fallait le vendre, le placer chez un libraire, nous dirions un éditeur, qui assumerait les frais de papier et d’impression. Ce fut la veuve Duchesne. […]L’impression se fit chez Quillau, "sous ma double direction de prote et d’auteur". Ce n’était pas superflu, Restif inaugurait dans ce roman sa carrière de réformateur en orthographe, qu’il poussera parfois jusqu’à l’absurde, se rendant illisible au commun des lecteurs, "ce qui fit tort à la vente", reconnaît-il. On tira deux mille exemplaires. En 1800, il en restait encore. » [Baruch p.131-132]
Le Paysan perverti : aspect littéraire, difficile mise à jour, détournement de la censure
« En lisant l’histoire d’Edmond et d’Ursule, que pouvait-on goûter à l’époque ? Un roman noir, avec quelques outrances et quelques ridicules, mais aussi tout l’éventail de sa démarche picaresque, avec ses situations antithétiques, et sa langue asservie aux personnages, ici distinguée, là patoisante ou argotique. Roman d’idées, roman à message, véhiculant le discours vertueux du siècle et s’enfonçant, c’est la règle, dans la peinture des vices. Une force, une violence sans équivalent dans les romans du temps. Y remarque-t-on l’émergence de Paris, non plus comme décor, mais comme acteur, l’ampleur de la fresque sociale ? Hugo, Balzac s’y devinent. Les millésimes cassent les filiations. Notre-Dame de Paris ou Le Père Goriot sont à moins de soixante ans. […] Que de problèmes il avait dû résoudre pour donner naissance à ces quatre volumes ! Problèmes d’argent d’abord. Selon un système déjà expérimenté et qu’il emploiera presque toujours, il est à la fois auteur, producteur, distributeur, achète le papier, contribue à la composition, place les exemplaires chez les libraires. Il faut les faire brocher ou relier. Plus tard, il s’occupera aussi des illustrations. […] Écrivain, ouvrier, marchand, l’existence de son œuvre est à ce prix. Le Paysan perverti fut sa meilleure affaire après Les Contemporaines : il lui rapportera, avec les rééditions, neuf mille livres, une dizaine d’années de son salaire à l’imprimerie quand il y était bien payé. Il fallait aussi affronter la censure. D’Hermilly, "un bon homme", mais "un imbécile", parapha Le Paysan en imposant quelques changements […] En matière de censure, Restif, comme ses illustres confrères, a beaucoup crié au loup. Objectivement, bien peu ont souffert de ses rigueurs temporaires. Le police ne s’est acharnée que sur quelques pamphlétaires obscurs ou quelques colporteurs et libraires malchanceux. Il existait cent moyens, tolérés ou risqués, d’en tourner les contraintes : permissions tacites, fausses domiciliations, contrebande, circulation sous le manteau, quand on ne faisait pas sauter les "cartons" -les suppressions- exigés par le censeurs, une fois tiré le paquet d’exemplaires destinés à l’administration. "J’étais presque le seul qui pût les braver, à raison de ma manutention typographique, qui me mettait hors de la tutelle des trente-six infâmes imprimeurs, et leurs scélérats d’ouvriers. Si les censeurs me changeaient, j’avais la patience de tirer cinquante à soixante exemplaires ; je rétablissais ensuite ma pensée, soit pendant le dîner des pressiers, soit la nuit. Il me fallait ensuite la plus grande attention pour donner à propos les exemplaires cartonnés. Une seule inattention m’aurait perdu." On a la preuve de ces modifications. Mais Restif, qui se croit déjà menacé, aurait-il commis une action si dangereuse ? N’a-t-on pas là plutôt divers stades du texte, réécrits en cours d’impression (c’est habituel chez lui), ce qui n’était pas légal, mais, sauf scandale, sans conséquence ? Car quoi qu’il en ait, Restif a entretenu de fort bonnes relations, et même un peu plus, avec la plupart de ses censeurs. Quelques tracas, certes, ils accomplissaient leur mission, mais sans zèle excessif. Aucun ouvrage interdit, aucune poursuite, aucune prise de corps. Seule, sa Paysanne pervertie fut longtemps retardée, mais non "supprimée". Tout ce qu’il écrit, il l’a édité, sauf quand l’argent manqua. Une seule fois, il souffrira de mesures policières, interdiction, perquisition, saisie : en 1802, sous le Consulat. » [Baruch p.155- 157]
Le Pornographe face à la censure
[Rétif parle du Pornographe] « Au bout de trois mois de travail, sur mon ancien manuscrit, qui fut entièrement refait, l’ouvrage fut redonné à la censure : un Philippe de Prétot le refusa encore. J’obtins, par le crédit de Valade, M. Marchand, qui le parapha et en rendit au lieutenant de police de Sartine un compte avantageux. On imprima en avril, mai et juin. Mais à l’instant de mettre en vente, F.-A. Quillau, par le conseil de Domenc, mon successeur, alla faire des observations au censeur, qui fut prêt à révoquer son approbation. Ainsi peu s’en fallut que la sottise de deux hommes, F.-A. Quillau et Domenc, n’empêchât la publication d’un ouvrage utile, déjà imprimé, avec douze cents francs de frais […] Ces gens se croyaient les maîtres des gens de lettres, dont il sont tout au plus les secrétaires. M. Marchand entendit raison […] et l’ouvrage passa […] Il est arrivé depuis que F.-A. Quillau a fait la fonction d’inspecteur de police en retenant chez lui les éditions des auteurs à qui l’on avait ordonné des cartons, et faisant déchirer lui-même les endroits cartonnés […] L’imprimeur n’est pas l’homme de la police ; il imprime sous permission ; si l’on fait des cartons, il les imprime et les livre ; sa fonction est alors remplie. Mais la bassesse et la servitude sont la caractéristique de tant d’hommes ! » [Monsieur Nicolas, 7e époque, éd. Testud]
Rétif et les gravures
« [Le Quadragénaire] est, dans les œuvres de Restif, le premier ouvrage "à figures", une idée de la veuve Duchesne qui le vendait. Quinze estampes, soit neuf cents livres à investir. Illustrer des livres répondait d’abord à des considérations commerciales. Leur luxe attirait ainsi une clientèle fortunée, et la marge du libraire en était largement accrue. Mais surtout, c’était un moyen de lutter contre un fléau, la contrefaçon. Le Paysan lui avait payé un lourd tribut ; le problème, celui de la propriété intellectuelle, échauffait les têtes. En se penchant sur la question, Pufendorf, Diderot, Kant, Fichte (les contrefacteurs allemands et autrichiens avaient pignon sur rue, et exerçaient sans ennuis leur coupable industrie) élaborèrent les bases de la juridiction actuelle.[…] Le coût des gravures limitait les risques, leur reproduction aurait tué la rentabilité, et faisait des contrefaçons des éditions au rabais boudées par les amateurs. "Ces estampes me ruinent, mais en faut pour embarrasser les contrefeseurs, car les contrefaçons ruinent encore davantage." Certains libraires n’hésitaient par à leur prêter la main, soit pour écouler leurs produits, soit pour les commanditer, et se dispenser, dans ces deux cas, de verser sa part à l’auteur. Ces contingences entraînèrent Restif dans un monde qui ne lui était pas inconnu ; à l’imprimerie passaient des peintres, des dessinateurs, des graveurs […]. Les images du Quadragénaire furent gravées d’après les dessins d’ "un certain" Dutertre (l’adjectif montre que Restif ne le prisait guère) par Bacquoy et Berthet, qui deviendra un de ses collaborateurs attitrés, et un ami. Pour La Vie de mon père, il choisira comme illustrateur Louis Binet, dont le crayon traduira fidèlement ses intentions. Car, fortuite au début, l’image devient vite le complément du texte, et participe à son rêve de livre total. Pointilleux, s’il ne dessine pas, il guide la main de Binet, lui impose sa vision, le corrige, façonne son trait non pas sur les mots, mais sur ses rêves. La bizarrerie des silhouettes féminines, aux corps étirés, aux têtes réduites, aux pieds minuscules, des espèces de poupées Barbie, est à mettre en parallèle avec la bizarrerie de son orthographe et de sa typographie. Ces déformations du regard ordinaire s’écartent du réalisme pour parvenir à une expressivité en harmonie avec le récit. Tailles de guêpe, "joncées", fragilité de l’équilibre, femmes "féiques" dont les bras languides, les chevilles menues, et les seins presque libres surgissent de robes guindées. Si Binet dessine, si Berthet et Le Roy gravent, c’est Restif qui imagine, comme le précise un de ses ouvrages [Les Figures du Paysan perverti, dont le titre est suivi de : "Rétif de la Bretonne invenit, Binet delineavit, Berthet et Leroi incuderunt."]. Il critique les esquisses de Binet, lui communique ses intentions : la taille de « votre modèle était bien plus élégante et bien plus fuselée », ou "les talons des mules que je vous ai confiées hier sont plus hauts et plus élancés que tous les précédents". Il impose ses choix, donne quelques sujets, à Binet, des Parisiennes, et fait poser pour lui celles qui incarnent son type de femme. […] Nombre de ces gravures ont des intentions documentaires, et mettent "sous les yeux l’espèce de marchandise des commerçants, et les principaux outils des ouvriers ou artistes" [Pierre Testud, Rétif de la Bretonne et la création littéraire]. C’est l’esprit des planches de l’Encyclopédie. Sorte de musée Grévin du Paris populaire, les cuivres immortalisent les petits métiers du temps. "Où trouverions-nous sans lui la jolie agréministe, la petite régrattière, la jolie gazière, la belle limonadière, la petite écaillère, les petites marchandes du boulevard, la brodeuse-chasublière, la blateyère, la patenôtrière-en-bois, la jolie boursière-culottière", etc. [J.Cl. Courbin, « L’Esthétique rétivienne », Études rétiviennes n°22]. Au total, nous lui sommes redevables de six cent cinquante gravures et quelques ; à soixante livres l’une, prix moyen approximatif, elles engloutirent plus de la moitié de ses gains. Il ne le regrette pas. Au contraire, il se désole de ne pouvoir réaliser toutes celles qu’il projette, parce que les volumes excessivement ornés deviendraient hors de prix. » [Baruch p.163-166]
Rétif et la typographie
« Au XVIIIe siècle, Restif de la Bretonne développe un projet de réforme de l’orthographe, tout en songeant au moyen d’étendre les registres expressifs de la typographie. Auteur de vocation, et imprimeur de métier, Restif représente une tendance mal connue dans les détails, mais néanmoins importante, de l’histoire de la typographie ; cette tendance regroupe tous ceux qui ont cherché à étendre les fonctions de l’imprimé au-delà du rôle discret de véhicule transparent (passif plutôt qu’actif) du sens exprimé par les mots. En marge de l’histoire de l’imprimerie et de l’histoire de la littérature, cette tradition d’expérimentation qui a contribué à mettre la typographie au service de l’œuvre mérite d’être redécouverte. Depuis que les imprimeurs, obéissant à des impératifs d’ordre économique, ont standardisé les conventions de mise en page ainsi que les formats et modes de production du livre, les pratiques non-conformistes d’auteurs en quête d’alternatives ont été généralement découragées, sauf dans quelques cas exceptionnels où imprimeur et auteur ont osé prendre des risques. » [Combier et Pesez, art. « Design graphique »]
Le bouleversement de la Révolution française
« A la fin de l’année [1789], profitant de la liberté d’expression, deux cent cinquante journaux jaillirent. Restif en projeta [plusieurs], plans sans lendemain. Le poussèrent-ils à installer, dans les premières semaines de 1790, une imprimerie rue de la Bûcherie ? Avec le besoin d’argent : "Je m’étais donné une petite imprimerie, croyant en tirer un parti avantageux pour ma subsistance." Légalement, c’était un peu la corde raide ; liberté de la presse, oui, mais liberté d’imprimer ? On ne supprima les corporations qu’en mars 1791. Mais, dans ce climat qui régnait, celle des imprimeurs aurait-elle osé arguer de ses privilèges pour assigner en justice un franc-tireur ? Déjà, il avait bravé la loi en imprimant clandestinement Les Nuits de Paris (combien de volumes sur les quatorze parus ?) : "Je suis obligé de faire imprimer les Nuits dans un local commode, et chez de bonnes gens très peu riches. J’en ai plusieurs raisons, dont l’intégrité de l’ouvrage est une. Il paraît que je serai obligé dans peu de demander au chef de la magistrature et de la Librairie une autorisation pour imprimer mes ouvrages chez moi ; c’est un droit qu’à tous égards, je mérite autant que ceux qui en jouissent. Quant à mon papier, je paie pour l’avoir bon ; mais le commerce en France court à une ruine certaine, par la cherté de la main-d’œuvre, la mauvaise foi, l’insouciance des fabricants, dont le commerçant ne veut pas souffrir." [Les Nuits de Paris, dixième partie, édition originale, verso de la page de titre, non foliotée]. Restif imprimera "à la maison", assisté de son neveu Edmond, la plupart des œuvres à venir. […] Quelques travaux à façon, feuilles volantes, brochures, son entreprise ne décolla jamais, il eut un, deux, trois ouvriers, qu’il dut licencier, faute d’ouvrage, faute d’argent. Finalement, la presse (il en achètera une seconde en 1791) ne grincera guère que pour ses propres livres. C’est que les temps devenaient difficiles. […] Sa situation matérielle empirait. Ses libraires faisaient banqueroute, cinq mille livres perdues avec Maradan, ou prenaient ses ouvrages à bas prix. Il était obligé de retourner dans les ateliers distribuer les caractères, composer, relire des épreuves pour quelques francs. Début d’une lente descente vers la pauvreté, le dénuement, la misère. » [Baruch p.229-230]
Monsieur Nicolas imprimé à la maison
« Privé de libraire pour Monsieur Nicolas, une seule solution pour Restif, qui ne pouvait couvrir les frais : la souscription. […] Prix de la souscription : deux cent quarante livres. Bilan de la souscription : néant. Et Restif s’enchaîna à sa presse, pour tirer lui-même, en six ans et demi, à quatre cents exemplaires, et sans illustrations, les cinq mille pages de son autobiographie. Tâche compliquée par sa volonté de rendre la typographie expressive : "La grosseur du caractère marque toujours l’importance donnée à l’héroïne de l’aventure. Comme dans Mon Calendrier, le caractère italique est toujours indicatif de l’immoralité de l’état." » [Baruch p.233-234]
Rétif face à Sade : la responsabilité de l’écrivain
« La question que Sade pose à Restif est celle de la responsabilité de l’écrivain. Peut-on revendiquer une influence sans en assumer les conséquences ? […] Vieux débat, rajeuni par le cinéma, puis la télévision. Hélas ! avec Sade, dont il perçoit bien la violence persuasive, sans égale, sans commune mesure avec ce qui l’a précédée, c’est un autre monde qui surgit, un monde dans lequel il n’a plus sa place. Partagé entre l’effroi et sa haine de toute censure, entre son attachement absolu à la liberté d’écrire et de publier, et son épouvante devant les excès qu’elle autorise, néanmoins, et c’est tout à son honneur, il ne cède pas sur le principe, et s’efforce de concilier ces inconciliables. […]Pas question de toucher à cette "liberté sacrée. La circonscrire, la restreindre, c’est l’anéantir ". […] Première parade : une presse entièrement libre, "palladium de la liberté" qui fera "trembler les coquins", et apportera "plus de bien aux mœurs, à la morale publique, que tous les écrits de Dsds [Sade] ne peuvent causer de mal" ; ce qui est, du reste, assigner à cette presse libre un devoir impérieux ; seconde parade : l’inscription, sur un registre, au ministère de la Police, on ne se refait pas, des ouvrages, de leurs imprimeurs, du tirage et de leurs acheteurs […]. Comment Restif peut-il ignorer les contrefaçons, les impressions clandestines, la contrebande ? Censeurs, répression, les regretterait-il ? Il se rassure en escomptant qu’il y aura une "quantité prodigieuse de bons ouvrages qui paraîtront contre un mauvais. Il n’existe qu’un Dsds en Europe. Il n’y a pas eu de monstre pareil, absolument pareil, dans toutes l’Antiquité". Bref, il est coincé. En défendant Sade, il se défendait lui-même. L’ordre moral de Napoléon ne s’y trompera pas, il poursuivra l’un et l’autre. » [Baruch p.242-244]
La liberté d’expression remise en cause sous le Consulat ; les conséquences pour Rétif
« Depuis que Bonaparte était Premier consul, la mise au pas allait bon train, et on tirait à vue sur la liberté d’expression. Suppression de journaux, emprisonnement de leurs directeurs ou de leurs rédacteurs. On pourchassait aussi la littérature, du moins celle qui portait atteinte aux bonnes mœurs. Réincarcération de Sade, descentes musclées dans les boutiques du Palais-Royal. Deux petits volumes de nouvelles, qu’il n’avait pas imprimées lui-même, sortaient dans les premiers mois de 1802 ; un critique les qualifia de "dégoûtant ramassis de contes orduriers, écrit dans le style des halles". C’était livrer l’auteur à l’attention de la police, qui s’enquérait de "tous ouvrages contre le gouvernement et l’honnêteté publique." […] Aux questions des policiers, Restif répond qu’il n’imprime plus depuis six ans, à titre professionnel s’entend, "si ce n’est qu’il a imprimé son ouvrage intitulé Les Posthumes, et qu’enfin ses presses ne marchent plus depuis six mois." On saisit : onze exemplaires de cet ouvrage, et des feuilles de L’Enclos et les Oiseaux, "qui nous a paru très obscène". Pourquoi, s’étonne-t-on, n’a-t-il pas d’enseigne d’imprimeur à sa porte ? Pourquoi n’a-t-il pas payé sa patente ? "Il nous a répondu qu’il n’imprimait que ses ouvrages, et que comme tel, il ne croyait pas avoir besoin de s’énoncer imprimeur." Les scellés sont posés sur le local du quatrième étage. Restif loge au troisième. Restif se démène, obtient leur levée, récupère son imprimerie, non ses ouvrages. Ce qui avait été saisi est transféré dans une autre pièce, scellée à son tour. […] Dès le 11 août, on leva tous les scellés, mais que devinrent les livres et feuilles saisis ? Les Posthumes en réchappèrent, mais de L’Enclos et les oiseaux, on n’a retrouvé jusqu’ici que des pages manuscrites. Quant à L’Anti-Justine, pas trace d’elle dans les rapports de police. Restif avait dû la cacher dans son logement ou chez Marion [sa fille cadette] qui demeurait dans une maison voisine. » [Baruch p.257-258].
II- Quelques notes de lecture autour de Rétif de la Bretonne, sur les thèmes des métiers, de l’imprimerie, de la censure, de la police… au XVIIIe siècle.
4. Rétif auxiliaire de la police
Ses débuts dans la carrière
« En 1798, Restif entre au ministère de la Police. A près de soixante-cinq ans, il entrerait sans apporter de garanties, sans fournir de références, dans l’administration la plus redoutée de l’époque, et, qui plus est, dans un service relevant directement de l’espionnage ? Insoutenable. "La direction du Cabinet noir, remarque G. Lenôtre, n’est pas un poste de début." [cité par E. Vaillée, Le Cabinet noir, 1950] Ne convient-il pas de remonter aux origines de cette carrière ?[…]
Pourquoi Taaf [Theobald Taaf, aventurier d’origine irlandaise censé être le responsable du (pseudo) premier mariage de Restif avec l’anglaise Harriet Kircher] aurait-il approché Restif ? "Le duc de Choiseul l’avait fait libérer [de la Bastille] et l’employait dans des services d’espionnage". Qu’y avait-il à espionner ? En janvier 1757, Damiens avait commis l’attentat qui plongea dans l’inquiétude le clan Pompadour dont Choiseul était le favori. L’attentat n’avait pas soulevé une réprobation unanime. Quantité de lettres anonymes, de placards imprimés clandestinement et affichés de nuit exprimaient un large mécontentement et un soutien populaire au régicide. La répression est extrême, on lâche les chiens contre tous ceux qui pourraient avoir participé à cette campagne. Est-ce vers la découverte de ses auteurs, et des imprimeries coupables, que Taaf oriente son activité ? Il ne serait pas le seul. Les presses accoutumées à sortir des feuilles volantes, et Knapen [l’imprimeur chez lequel travaille alors Restif] est dans ce cas, mobilisent l’attention de la police. Restif est jeune, pauvre, et, il le confesse, peu scrupuleux. Que Taaf le repère (à moins qu’il n’ait été signalé par Maret et soumis à des pressions) et l’enrôle, n’est pas inimaginable. » [Baruch p.108-110]
Rétif spectateur nocturne
« "Dans le cours de vingt années, c’est-à-dire depuis 1767, que l’auteur est spectateur nocturne, il a observé pendant mille et une nuits ce qui se passe dans les rues de la capitale." Je vais droit au but, en avertissant que ce but est hypothétique, mais évident si l’on veut bien en suivre la démonstration : à partir de cette année, Restif devint espion de police, non pour le beurre, un luxe, mais pour les épinards, une nécessité. Un mot, "observé", met la puce à l’oreille. A la demande de Sartine, un commissaire au Châtelet, Lemaire, rédigea, de 1768 à 1771, un mémoire sur la police de Paris. Il y signale que les inspecteurs ont sous leurs ordres ceux qu’ils "appellent des observateurs qui leur sont attachés et qu’ils paient pour rendre compte des conversations qui peuvent se tenir dans les différents endroits publics" […] Les filatures, les missives détournées, la mise au jour d’identités cachées, de mystères enfouis dans les familles, l’usage des faux noms, des travestissements, dont abondent Monsieur Nicolas, et toutes ses nouvelles, ne sont-ils pas la transposition de ses investigations, le signe que l’auteur est contaminé par l’espion, et son inspiration atteinte de déformation professionnelle ? […] S’il est déjà singulier d’errer dans les rues les plus mal famées, en pleine nuit, il l’est plus encore de n’y rien craindre. Mais Restif possède trois atouts, qui confirment sa position : l’uniforme [le manteau bleu, qui le fait craindre et respecter], les armes [le bâton, et les deux pistolets qu’il avait la permission de porter], le pouvoir [menace, appel de la garde, intervention chez les commissaires]. […] Il détaille également sa méthode de travail ; à une ou deux heures du matin, il va "rendre compte de ma conduite". Sa tournée est achevée, car il s’agit bien de tournée, seul vocable dont il use avec celui de circuit : il n’est question ni de flânerie ni de promenade, et tournée présente un sens strictement professionnel –Restif parle de la tournée du facteur. Tout le cérémonial est du reste bureaucratique : il rédige un petit rapport dans un bureau […] puis en fait un exposé oral. Je pense que, de ces rapports, il conservait un résumé dont il a fait Les Nuits. » [Baruch p.135-139]
Le Pornographe, commande du gouvernement ?
« […] Ses contacts avec le censeur Albaret (un "espion") ont pu le décider à embrasser la carrière [au service de la police], qui lui vaudrait en outre la bienveillance de la Librairie, dont le directeur était le lieutenant général de police, sous forme de privilège ou de simple permission tacite. Le Pornographe, on lui doit ce mot mais son acception différait de l’actuelle, paru en 1769, pourrait en être l’illustration.
Restif le traînait depuis deux ans. En 1767, le censeur Chenu, prudent, il venait d’être nommé, le lui avait refusé. Il le remit sur le métier : nouveau refus d’un nouveau censeur. En 1769, en troisième, l’avocat Marchand, un « bon homme », consentit à la parapher. On imprima. Le sujet inquiéta Quillau qui s’en ouvrit à Marchand. Allait-il revenir sur l’autorisation ? Restif lui écrivit, affolé : "Lorsque j’ai vu mon ouvrage paraphé, sûr de vendre, j’ai puisé dans la bourse d’autrui : je n’ai plus rien. Il faut que je fuie, que je passe pour un malhonnête homme, ou bien que j’attende qu’on me traîne en prison." […] Marchand, ouvrant le parapluie, quêta l’avis de Sartine qui permit Le Pornographe. "Je dirai seulement que c’est peut-être, de tous les projets moraux donnés au gouvernement, le plus utile et surtout celui qui demande une exécution prompte." Si c’était le contraire ? si Le Pornographe, remanié sur de bons conseils, émanait du gouvernement ? Régler la prostitution, et lutter contre les abus des inspecteurs, les intentions de Restif se confondent, pour les contemporains, avec celles de Sartine. On prend le livre comme un ballon d’essai. Les Mémoires secrets affirment, le 2 décembre 1769 : "Quand l’ouvrage singulier intitulé Le Pornographe a paru, on a jugé par sa publicité et par l’autorisation qu’il avait reçue de la chancellerie et de la police, que le gouvernement ne désapprouvait pas les vues de l’écrivain ; quelques politiques ont même conjecturé que, suivant sa sagesse, ce livre jeté dans le public était fait pour exciter une fermentation à cet égard et recueillir les différents avis ; aujourd’hui, ces spéculateurs portent plus loin leurs vues et prétendent qu’on songe sérieusement à effectuer le projet bizarre de l’auteur." Voici donc Restif, au moment où il se déguise en "spectateur nocturne", considéré comme une sorte de porte-parole officieux, de sous-marin du pouvoir ; et promoteur des "Parthénions", ancêtres des éros-centers. » [Baruch p.140-141]
Changement d’affectation
« N’oublions pas les rondes nocturnes qu’il accomplit toujours jusqu’aux alentours de 1772 ; il change alors d’affectation, cessant de déambuler, pour enquêter dans les billards, les académies, les cafés, les spectacles, endroits de prédilection des espions. […]Troisième étape, après l’observation des imprimeries, jusqu’en 1767, et celle des rues. » [Baruch p.159]
La fin d’une carrière ?
« C’est au cours de ces années 80, à une date impossible à préciser, qu’il freina puis abandonna sa fonction policière. » [Baruch p.193]
Rétif sous-chef du bureau de surveillance de la correspondance des émigrés sous le Directoire
« […] Restif fut nommé, à la fin d’avril [1798], au bureau de surveillance de la correspondance des émigrés et des agents de l’étranger. Il y fut nommé sous-chef du bureau de direction, huit employés sous ses ordres.[…]
La Convention puis la Constituante avaient proclamé l’inviolabilité des correspondances et supprimé, ce faisant, le fameux Cabinet noir, qui , sous Louis XV, espionnait le courrier, décachetait les lettres, les copiait ou en faisait des extraits, et les recachetait. Il n’en avait pas moins continué à fonctionner, à l’initiative souvent des municipalités, parisienne ou provinciales. Le Directoire le rétablit, en le limitant en principe à la surveillance des lettres en provenance de l’étranger. Il s’agissait, par le viol du courrier, de rechercher les suspects et de fournir un point de départ à l’instruction policière, puis judiciaire. […] Son service dépend directement du ministre de la Police générale, et l’on sait comment, à travers les régimes, les administrations perdurent. [On peut] présumer que, pour ce Cabinet noir renaissant, on fit appel à de vieux routiers dont l’expérience et la loyauté étaient avérée.
[…] Restif ne trouva pas sa fonction humiliante ou déshonorante. […] Cette ultime fonction avalise en effet toute sa carrière souterraine. Lui qui écrivait dans ses Nuits de Paris : "Tout ce qui sera mis sous cachet et mis à la poste sera sacré. Violer le cachet sera un crime punissable." Dans son important service, huit employés, il attend d’accéder à un rôle plus décisif, le sommet, le couronnement de son attachement à la police. […]
En juin 1802, Fouché, nouveau ministre de la Police, décida de la réorganiser. Desmarest, son bras droit, lui pondit un rapport où il concluait : "Je propose au ministre de supprimer la section des lettes interceptées, parce que, de fait, cette parte n’a plus d’activité et que c’est un épouvantail inutile et impolitique. Le sous-chef de cette partie, le citoyen Restif de la Bretonne sera supprimé […]" [Fouché] arrête, le 13 juin 1802, que "les citoyens Restif, Coudert et Ordiguier sont supprimés, ils recevront le mois courant à messidor pour indemnité", c’est-à-dire trois mois de traitement, mille francs, pour solde de tout compte. » [Baruch p.250-254]
III- Bibliographie complémentaire
En plus des ouvrages cités dans les notes de lecture, on peut ajouter :
Sources iconographiques et textuelles
- AUDIN M., Histoire de l’imprimerie par l’image, tome I, Lyon, Henri Jonquières, 1929, 126p. (cote MAT : 109164) Chroniques de France, tome III, Paris, Jean Maurand pour Antoine Vérard, 1493, 257f. (cote MAT : Inc35)
- DIDEROT D., Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, mis en ordre et publié par M. Diderot et M. D'Alembert, tome VII de planches Paris, Briasson et alii, 1751 (cote MAT : s.2.2207)
- Mémoires de l’académie des sciences, inscriptions, belles lettres, beaux arts ci-devant etablie à Troyes en Champagne, Troisième édition, 1768, 343p. (cote MAT : RR 405)
- MORIN, Louis, L’imprimerie glorifiée, anthologie professionnelle, Paris, Bulletin officiel de l’Union Syndicale et Fédération des Syndicats des Maîtres Imprimeurs de France, 1924, 128p. (cote MAT : c.l. 4.8045)
- Règlement pour la librairie et imprimerie de Paris, arrêté du Conseil d’Etat du Roy, Sa Majesté y étant, le 28 Février 1723, Paris, Imprimerie Royale, 1744, 101p. (cote MAT : 109118)
- RETIF DE LA BRETONNE, Nicolas-Edme, Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé, Paris, 1794 (cote MAT : DG 10132)
Autres ouvrages de référence
- ALLIOT, David, Chier dans le cassetin aux apostrophes, Paris, Horay, 2004, 187p. (cote MAT : 070.32 ALLI)
- BLASSELLE, Bruno, A pleines pages, Histoire du livre, tome I, Paris, Gallimard, coll. Découvertes, 1997, 160p. (cote MAT : 002 BLAS)
- GRINEVALD P.-M. et PAPUT C., L’Encyclopédie Diderot et d’Alembert : les métiers du livre, Bibliothèque de l’image, 1994 (cote MAT : U.F.A. 686 ENCY)
- PARRAMΟN, José-Maria, Comment on imprime, Initiation aux arts graphiques, Paris, Bordas, 1978, 127p. (cote MAT : 686.23 PARR)
- RADIGUER, Louis, Maîtres, imprimeurs et ouvriers typographes, 1470-1903, Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition, 1903 (cote MAT : 108915 ou 34280)