Partie I : Années 70 : de l’héroïne fragile à la femme forte
Lady Snowblood (1973) de Kazuo Koike et Kazuo Kamimura
Figure de la femme forte par essence, Lady S. est l’archétype de la « femme fatale » telle qu’elle était fantasmée dans les imaginaires collectifs au Japon dans les années 70. Très occidentalisée, la jeune Yuki est une femme indépendante, affranchie de la tutelle des hommes, aux antipodes de la figure de la femme fragile valorisée par la société nippone. Violente, autrice de nombreux crimes incluant viols et meurtres, elle s’accomplit dans la vengeance, tenant les hommes et les puissants pour responsables de tous les maux de la société. Pour atteindre son but, à savoir venger sa mère violée, injustement emprisonnée et décédée en couche, elle n’hésite pas à user de ses charmes pour faire couler le sang de ceux qu’elle juge indigne de vivre. L’ambivalence du personnage tient dans le fait qu’en cherchant à se venger, elle utilise les mêmes procédés que les hommes qu’elle cherche à éliminer.
Au-delà de la quête du personnage principal, ce manga met en avant une image aujourd’hui contestée de la femme fatale. Hypersexualisée, pratiquement considérée comme une « prostituée », la femme forte est, à cette époque, souvent dépeinte comme une marginale qui n’a pas su s’insérer dans la société. Cette vision archaïque de la femme forte évoluera bien plus tard, à partir de la fin des années 90.
Ayako (1973) d’Osamu Tezuka
A la même date, Osamu Tezuka publie Ayako. Les deux manga ont en réalité peu de points communs puisque Lady S. se déroule dans le Japon de l’ère Meiji alors qu’Ayako grandit dans un contexte post seconde guerre mondiale. Très différentes, les deux personnages féminins se rejoignent cependant via l’hypersexualisation du corps et la banalisation des scènes de violences. En effet, dans ce récit qui décrit la vie de la jeune Ayako de ses 4 à ses 27 ans, le personnage principal cherche essentiellement à se sauver lui-même en échappant à un milieu familial toxique. D’abord présentée sous les traits d’une petite fille soumise, puis comme une femme séduisante dans la fleur de l’âge, abusée par des membres de sa famille qui la retiennent captive, Ayako ne devra son salut qu’aux mauvais choix réalisés par des personnages de sexe masculin qui les amènent à leur perte, lui permettant ainsi de gagner sa liberté.
Barbara (1974) d’Osamu Tezuka
Barbara d’Osamu Tezuka s’inscrit dans la continuité des deux titres précédents, à la différence près que Barbara nous est présentée comme une femme libre dès le départ, bien qu’elle soit dans les faits dépendante des hommes qui s’épreignent d’elle. Vulgaire, hypersexualisée, alcoolique, hors norme, Barbara est à la fois un fantasme et une femme marginale, sans domicile fixe. A mi-chemin entre réalité et fiction, elle nous apparaît comme une muse n’existant que dans l’imaginaire des artistes en quête d’inspiration littéraire tels que le narrateur, Yosuke Mikura, un jeune écrivain atteint de troubles psychiques et en proie à des désirs sexuels inavouables. Comme Ayako et Lady S., elle connait les faiblesses des hommes et sait saisir les opportunités lorsqu’elle en a besoin. Elle apparaît donc davantage comme une opportuniste parfois manipulatrice que comme une femme fatale à proprement parler.