Les questions de genre dans le manga contemporain (2010-)
Moi aussi de Momochi Reiko (2018)
Ce manga aborde la question du harcèlement sexuel au travail en mettant en avant l’omniprésence du sexisme dans la culture nippone. Véritable héritage culturel, il se traduit par des attitudes féminines de soumission, d’acceptation de comportements inacceptables, laissant la place à des stratagèmes pervers de la part d’hommes toxiques qui n’hésitent pas à user de leur position hiérarchique pour demander des faveurs sexuelles à leurs employées.
Dans ce manga, Satsuki Yamoguchi, opératrice téléphonique dans une entreprise, se fait harceler sexuellement par l’un de ses supérieures hiérarchiques. De peur de perdre son emploi étant donné que peu de femmes japonaises trouvent du travail, elle décide d’abord de se taire et de subir, répondant ainsi aux attentes de la société, ce qui génère chez elle des traumatismes profonds. Basé sur la vie de la politicienne Kaori Sato, le récit dénonce toute forme de violence sexiste et de harcèlement au travail, mettant également en avant les inégalités hommes/femmes.
En proie au silence d’Akane Torikai (2013)
Dans la même lignée que Moi aussi, le manga En proie au silence d’Akane Torikai dénonce les dérives de la société patriarcale au travers du personnage féminin de Misuzu, une jeune enseignante qui tente de se reconstruire après un viol et qui renie sa féminité de peur qu’un homme pose son regard sur elle. Les conséquences psychologiques de son traumatisme physique la mettent en difficulté et bientôt, elle se retrouve face à un dilemme : parler ou se taire.
Au-delà de la question des violences sexuelles, ce sont les inégalités hommes/femmes et plus particulièrement la banalisation des violences faites aux femmes qui sont dénoncées. Comme Satsuki Yamoguchi de Moi aussi, Misuzu apparaît comme la nouvelle génération de personnages féminins forts. Des femmes au lourd passé qui tentent de reprendre en main leur destin et de s’imposer au sein de la société patriarcale malgré des séquelles psychologiques liées à des comportements masculins criminels effectués en toute impunité avec la bénédiction de la société. L’époque de Barbara et de Lady S. est donc désormais révolue, la femme forte n’étant plus considérée comme une marginale ou une criminelle, mais une femme ordinaire tentant de trouver sa place en cherchant à rétablir l’égalité entre les hommes et les femmes.
Boys run the riot de Keito Gaku (2020)
Dans la continuité des violences sexistes, de nombreux mangaka abordent à proprement parler les questions de genre (se référer au lexique intégré à la table numérique). Dans ce cas précis, Ryo est un personnage transgenre. Assigné femme à la naissance, il se retrouve face à une « dysphorie de genre » et ne supporte plus qu’on lui impose le genre « féminin », genre qu’il ne reconnait pas comme étant le sien. Boys run the riot se présente ainsi comme un manga de vulgarisation des questions de genre, l’auteur étant un artiste transgenre soucieux de bien définir chaque terme pour éviter la confusion entre androgynie, transidentité et homosexualité, raccourci sommes toutes fréquent.
In fine, la thématique de la transidentité n’est qu’un prétexte pour aborder des thématiques de sociétés plus spécifiques comme la marginalisation des personnes considérées comme atypiques ou hors normes, pour dédramatiser les angoisses existentielles d’adolescents en proie à des questionnements concernant leur personnalité, leur genre, leur orientation sexuelle, et plus globalement leur place au sein de la société. La question de fond étant : comment assumer sa transidentité aux yeux de la société quand cette même société ne donne que peu de place aux personnes transgenres ? L’auteur ne répond pas à cette question mais donne des pistes concernant l’acceptation de soi et l’affirmation de son genre auprès du cercle familial et amical.
Celle que je suis/Ce qu’il n’est pas de Bingo Morihashi (2016-2017)
Comme Boys run the riot de Keito Gaku, de nombreux titres sont parus sur la même thématique depuis 2010. L’objectif ? Donner une visibilité aux personnes transgenre, en finir avec le tabou de la transidentité qui génère chaque année un nombre de suicide assez conséquent. Celle que je suis décrit le quotidien d’un jeune homosexuel dans le Tokyo des années 80. Au fil du temps, il s’aperçoit qu’il est en réalité une femme. Cette dysphorie de genre bouleverse son quotidien. A travers ce manga, l’auteur démontre à quel point il peut s’avérer complexe d’affirmer sa transidentité au sein de la société, ce qui pousse de nombreuses personnes à renier leur véritable genre.
Dans la continuité de son premier titre, il publie un an après Ce qu’il n’est pas, un manga mettant en scène un jeune homme du nom de Mirai attiré par son colocataire transgenre qui refuse d’abord d’admettre ce qu’il ressent pour se conformer aux normes de société mais qui souffre par la suite d’avoir rejeté la personne qu’il aime réellement.
Ce second opus, assez original, met la question de la « dysphorie de genre » au second plan pour se concentrer sur la perception de la transidentité en général et les conséquences que cela peut avoir sur la vie des personnes transgenre et leur entourage.