L’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux a pour mission d’assurer la gestion culturelle et touristique de la partie historique de l’ancienne abbaye de Clairvaux, propriété du ministère de la Culture. Dans ce cadre, elle organise de nombreux événements tout au long de l’année, dont des Matinales. Le programme du dimanche 6 juillet 2025 est composé d’une conférence intitulée « Le livre à l’abbaye de Clairvaux : du scriptorium à la bibliothèque virtuelle » par Emmanuelle Minault-Richomme, conservatrice en charge du patrimoine conservé à la médiathèque de Troyes, conférence suivie d’un concert d’Alexandre Lory au piano.

C’est ainsi une belle occasion de rappeler l’importance du livre dans l’histoire pluriséculaire de Clairvaux.
Depuis sa fondation en 1115 par saint Bernard jusqu’à la confiscation de ses biens en 1789, l’abbaye de Clairvaux (Aube) a toujours tenu et entretenu en son sein une bibliothèque. La vie des moines est en effet encadrée par la règle de saint Benoît, qui divise la journée en trois parties : la prière, le travail et la lectio divina [lecture divine], soit la lecture des textes sacrés.

Au tout début, le très érudit Bernard des Fontaines dote la nouvelle abbaye de livres (la Règle et quelques manuscrits liturgiques), de manière modeste, soit moins d’une dizaine de manuscrits, dont il ne reste aucune trace.
Mais dès la fin du XIIe siècle, on sait grâce à un fragment de catalogue réemployé comme garde de reliure que la bibliothèque de Clairvaux compte environ 350 volumes, soit une des plus grandes bibliothèques de l’Occident.

Outre des dons, la bibliothèque de Clairvaux bénéficie d’un enrichissement conséquent par la copie, grâce à des dépenses considérables (parchemin, encre, pigments, etc.) et au travail de moines spécialisés : copistes, enlumineurs, relieurs.
Du temps de saint Bernard sont réalisés à l’abbaye de véritables chefs-d’œuvre, comme la grande Bible en 6 volumes (Ms 27) ou les œuvres de saint Augustin (Ms 40). Adepte de l’ascèse, Bernard impose également des règles strictes pour le livre, pour lequel il proscrit tout emploi de l’or, fréquemment utilisé au Moyen Âge dans les enluminures, ainsi que les représentations animales et humaines ; les enlumineurs déploient alors des trésors de créativité pour respecter ces injonctions tout en magnifiant les textes sacrés : naît alors le style monochrome en camaïeu, composés de motifs végétaux et géométriques.
Au XIIe siècle, les livres manuscrits sont conservés dans le cloître, dans une « armaire ».
Aux siècles suivants, la bibliothèque s’accroît de manière considérable, notamment au milieu du XIIIe où est créé le collège Saint-Bernard à Paris pour accueillir des moines cisterciens venus suivre l’enseignement universitaire. On commande alors des livres auprès d’ateliers laïcs parisiens, liés à l’université. Nombre de ces livres repartent ensuite à Clairvaux et vice-versa. Les dons sont également fréquents.

L’inventaire de 1472
L’intérêt de l’ordre cistercien pour les bibliothèques est tel que sont produits régulièrement des inventaires et des catalogues de tous les livres possédés.
Attardons-nous sur la démarche de Pierre de Virey, élu abbé de Clairvaux en 1471 : il confie au bibliothécaire Jean de Voivre la mission d’inventorier la bibliothèque et de l’ordonner selon une nouvelle cotation. C’est un véritable monument bibliothéconomique qui présente une description physique et intellectuelle des ouvrages, tous cotés, avec le relevé des incipit et explicit, ainsi que leur emplacement.
L’inventaire de 1472 recense 1745 volumes, dont 383 manuscrits liturgiques.
La médiathèque de Troyes en possède deux copies, l’une sur parchemin, l’autre sur papier.

A cette même période, un projet de construction d’une bibliothèque de grande taille, dans le cloître des copistes voit le jour en 1503.
Les successeurs de Pierre de Virey poursuivent la tradition savante et intellectuelle de l’abbaye, dans un esprit humaniste, qui favorise de fructueuses relations avec les imprimeurs-libraires parisiens Josse Bade et Antoine Vérard. De nombreux ex-dono de ce dernier en attestent.

Vers 1520, on compte près de 3600 volumes, manuscrits et imprimés.
De nouveaux catalogues sont rédigés au milieu des XVIIe et XVIIIe siècle, dont celui Jean Delannes, aujourd’hui perdu. On construit également une nouvelle bibliothèque au siècle suivant à la faveur de grands travaux au sein de l’abbaye.
Mais ce qui est remarquable à plus d’un titre c’est l’acquisition en 1782 par l’abbé Rocourt de la bibliothèque des Bouhier, soit plus de 30 000 volumes, pour la somme de 135 000 livres. Bibliophile sur plusieurs générations, cette famille de parlementaires dijonnais collectionna de belles éditions publiées dans toute l’Europe à la provenance souvent prestigieuse, ainsi que des manuscrits anciens.
S’ensuit la période révolutionnaire, avec le 2 novembre 1789, où sont nationalisés les biens du clergé : tous les livres sont rassemblés dans les dépôts révolutionnaires et l’on crée des écoles centrales, pour l’instruction de tous les citoyens. Dans le nouveau département de l’Aube, on transfère les livres de la bibliothèque de Clairvaux à Troyes, après un rapide passage à Bar-sur-Aube.
Cette collection, associée à d’autres, est accueillie dans le réfectoire de l’ancienne abbaye Saint-Loup, devenu la « Grande salle ». Un premier bibliothécaire, l’abbé Herluison, est nommé en 1796. Et ce formidable ensemble est en 1803 mis à disposition de la nouvelle bibliothèque municipale de Troyes, qui devient l’héritière des anciennes bibliothèques nationalisées et confisquées à Troyes et dans l’Aube.

Cent vingt ans plus tard, toute la bibliothèque municipale déménage en de nouveaux locaux, où dans un grand geste architectural la Grande salle est réinterprétée pour continuer d’accueillir ce fabuleux héritage.
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