Alors qu’un appel aux dons est lancé par la Ville de Troyes pour la restauration de l’orgue de Saint-Remy, approchons cet objet intriguant, l’orgue, selon L’Art du facteur d’orgues (=constructeur/restaurateur).
Certains l’appellent « La Bible du facteur d’orgues », d’autres évoquent un condensé de tout ce qui se fait de mieux en termes de construction d’orgues. Les passionnés – rares, mais heureux – peuvent se procurer le fac-similé en y mettant le prix. La Médiathèque du Grand Troyes a la chance de conserver une édition originale de 1766 (cote Rés. C 1-5), dont l’auteur, bien connu des organiers (=synonyme de facteur d’orgues) et des organistes (=musicien), est François Bedos de Celles (1709-1779).
Issu d’une lignée de haute noblesse, Dom Bedos de Celles passa les quinze dernières années de sa vie à rédiger ce traité fort complexe sur la réalisation d’un orgue à tuyaux.
En effet, derrière ces grands et majestueux buffets, tel celui que nous pouvons contempler à la Cathédrale de Troyes, classé Monument Historique, se cache toute une machinerie. Composé de milliers, voire de dizaines de milliers de pièces, l’orgue cache bien des mystères. Et pour amener le vent aux tuyaux et les plus riches sons à nos oreilles, il aura fallu des siècles d’ingéniosité et de savoir-faire. C’est sans doute pour cela que pour la première fois un homme passionné de facture instrumentale, fin connaisseur de la gnomonique – l’art de concevoir les cadrans solaires – fut chargé par l’Académie royale des sciences de Paris de rédiger un véritable traité sur le sujet. Jamais personne n’avait osé le faire auparavant, tant la tâche était fastidieuse. Dom Bedos mis toute son énergie et rédigea non pas un mais quatre volumes en quelque 1485 articles. Sa connaissance évolua tant au fil de sa rédaction qu’il dut rédiger un appendice pour corroborer son texte initial.
Loin d’écrire un texte trop technique et incompréhensible, Dom Bedos se positionne en pédagogue averti. Planches gravées, schémas, coupes, mesures, lexiques, définitions, conseils, forment ce précieux manuel dont les meilleurs organiers d’aujourd’hui s’inspirent toujours. Et l’auteur prend goût à la bienveillance ; c’est lui qui écrit dans la préface de sa deuxième partie que « pour devenir facteur d’orgues, il ne suffit pas d’avoir une connaissance, même parfaite, de l’orgue, il faut de plus être instruit de tout le détail de la main-d’œuvre ». Tout est dit dans cette maxime valable pour bien des choses de la vie.
Ce qui rappelle à mon souvenir les paroles, pleines de sagesse, d’un vieux facteur d’orgues de 89 ans qui me disait un jour sur le chantier d’orgue d’une église : « J’ai enfin compris comment fonctionne un orgue ! Mais pour ce qui est d’une femme, il me faudra un peu plus de temps… ». Tout un traité et… tout un art…
Laurent-M. Schmit
Conservatoire à Rayonnement Départemental de Troyes Marcel Landowski
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