La notion de marge apparaît au 12e siècle dans les livres. Elle devient alors le territoire des scribes et des peintres qui y dessinent ce que l’on appelle communément des « drôleries » prenant la forme d’animaux grotesques en tout genre ou d’êtres monstrueux. Ces images, bien différentes des miniatures, s’emparent peu à peu des marges des Bibles, des livres d’heures ou encore des livres liturgiques et nous parlent, sous la forme d’un contre-discours, d’une parodie, dans le but de guider le lecteur.
La Médiathèque Jacques-Chirac conserve un certain nombre de manuscrits peuplés de marges animalières ou animées dont la fonction première est encore en discussion entre les spécialistes selon le motif et la période historique. Outre quelques esquisses et brouillons de peintres, on y trouve généralement des animaux dans des poses anthropomorphiques : oiseaux, chiens, lièvres, singes.
Dans le ms 898, par exemple, on aperçoit, dans la marge inférieure, un âne, symbole de la bêtise et de la parole insensée, enseigner à un chat distrait par un oiseau. La première interprétation tend vers l’illustration d’une parodie du contenu de l’ouvrage. Or il n’est pas rare au Moyen Age de cultiver le goût de l’ambiguïté en alliant profane et sacré afin de renforcer le discours du texte, à savoir, ici, le « bon parler ». Dans ce cas précis, l’âne personnifie le mauvais orateur et indique au lecteur de se concentrer sur le contenu du texte afin de devenir un bon orateur.
Gilles de Rome, Du bon gouvernement des princes, 14e siècle, ms 898, f. 97 r.
Cependant, la fonction première des marges est d’abord d’illustrer et d’expliciter. Citons pour exemple l’initiale atypique du ms 28 :
Biblia latina (ex interpretatione beati Hieronymi), 12e siècle, ms 0028, tome 1, f. 108.
ou encore le « Gratiani decretum » (ms 60), où des initiales étonnantes bordent les marges :
Inkulinati, du monde des marginalia à l’ère du jeu vidéo
Le jeu vidéo Inkulinati développé par le studio polonais Yaza Games nous invite à effectuer une plongée dans les manuscrits en proposant aux joueurs d’incarner des animaux ou des êtres monstrueux directement inspirés des décors des manuscrits médiévaux. Ainsi, vous serez tantôt un lapin archer, un chien épéiste ou encore un chat déguisé en évêque, le tout dirigé par un maître copiste que vous aurez sélectionné parmis des figures historiques notables telles que Hildegarde de Bingen.
L’objectif du jeu, outre la mise en scène des marges animalières des manuscrits, est de développer des stratégies de combat afin de réduire les points de vie de l’adversaire et/ou de pousser hors de la page le maître copiste de son rival, grâce aux attaques singulières de chaque personnage. Pour ce faire, vous aurez la possibilité de dessiner vos combattants, en fonction des points d’encre que vous récolterez à la fin de chaque manche.
Chaque action réalisée est ensuite reportée sur les pages du manuscrit qui se trouve au-dessus des zones de combat. Les personnages restent dans les marges inférieures tout le long des affrontements et des obstacles viennent s’ajouter au fur et à mesure des niveaux. Pour gagner, il faut redoubler de stratégie face à l’adversaire.
A vos manettes !
Merci à la Médiathèque Jacques Chirac ainsi qu’à la rédactrice de cet article pour ce sujet plus que passionnant.
On sent que la Médiathèque essaye de mettre un pas dans la marge avec un soupçon de modernité en s’attaquant au monde du jeu-vidéo et je dois avouer que le teasing à l’air plus que saisissant ! En espérant apercevoir quelques licences sur les PC dédiés, j’ai hâte de réapparaître dans ce majestueux espace public pour le tester !!
Cher monsieur Cochard,
L’équipe du pôle patrimoine vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la Médiathèque Jacques-Chirac. En espérant vous revoir très vite dans nos espaces dédiés au public, ainsi qu’aux Journées du patrimoine, les 18 et 19 septembre 2021, journées durant lesquelles vous pourrez tester le jeu.
Bien cordialement,
Anne-Charlotte Pivot,
Conservatrice responsable du patrimoine numérique.