Un petit café ?

Par Emeline Pipelier | Le 28 octobre 2022 | Fonds local | Imprimés

Il y a environ douze ans, qu’un manuscrit latin qui traitait du café me tombait entre les mains : je l’examinai, et je crus qu’il pouvait être utile au public, tant parce que personne dans ce royaume n’avait encore écrit sur cette matière, que parce que la boisson qui se fait de cette fève commençait à devenir à la mode.

C’est ainsi que Philippe Sylvestre Dufour, apothicaire lyonnais spécialisé dans les produits importés, introduit la nouvelle édition de son Traité nouveau et curieux du café, du thé et du chocolate [sic], qui paraît en 1685. Il ne ment pas en parlant de « mode » : arrivé en France en 1644 grâce à un marchand marseillais, le café connaît de plus en plus de succès, au point de voir apparaître dans les années 1670 les premiers « cafés », établissements uniquement dédiés à la consommation de cette boisson.

Originaire d’Éthiopie, le café est entouré d’une pittoresque légende. Laissons Pierre Sylvestre Dufour nous la conter :

Un gardien de chameaux, selon le sentiment de quelques-uns, ou de chèvres, suivant l’avis de quelques autres, se plaignit à des Moines que parfois ses chèvres ou ses chameaux veillaient et sautaient toute la nuit contre leur ordinaire : le Prieur se douta aussitôt que ce ne pouvait être qu’un effet de leur pâturage ; pour s’en éclaircir, il se porta sur les lieux, et considéra que celui où ce bétail avait passé le jour qui précédait la nuit qu’il sautait, était plein de certains arbrisseaux dont ils mangeaient le fruit. Il l’emporta pour tâcher d’en découvrir les qualités, et en fit bouillir dans l’eau : après en avoir bu il s’aperçut qu’elle faisait veiller, ce qui l’obligea d’en donner à des Moines pour les empêcher de dormir dans le temps des Offices de la nuit.

Caféier. Voyage de l’Arabie heureuse….avec la relation particulière d’un voyage fait du port de Moka à la cour du roi d’Yémen. Jean de La Roque, 1716

Cultivé et consommé dès le Moyen Âge dans ce que les Européens nomment « l’Arabie heureuse » (une région qui correspond au Yémen et au Sud de l’Arabie saoudite actuelles), le café se répand dans l’ensemble du monde musulman avant d’arriver à Venise au début du 17e siècle et de se diffuser dans tout l’Occident. A l’époque de Dufour, la variété la plus répandue est le moka, originaire de la ville de Mokha, alors principale exportatrice de café. Cependant, la demande explose et conduit les Européens à en tenter les cultures dans leurs colonies asiatiques ou américaines.

Comment se préparer un délicieux café ? Voici la recette donnée par Dufour :

  • prendre une tasse et demie d’eau (pas plus de 12 onces, c’est à dire 370 mL)
  • la faire bouillir à feu vif dans un pot
  • ajouter 3 dragmes (11, 4 g) de café moulu
  • ôter le pot du feu chaque fois que l’eau est sur le point d’en déborder
  • remettre le pot à bouillir, répéter l’opération une douzaine de fois
  • poser le pot dans des cendres chaudes pour laisser le marc redescendre au fond
  • quand la boisson a pris une couleur rougeâtre, consommer sans mettre la langue dans la tasse pour ne pas se brûler !

Dufour précise qu’on peut éventuellement y ajouter du sucre, de la girofle et de la cannelle (recommandé si l’on préfère en boire le soir) ou de l’essence d’ambre.

Boisson nouvelle, le café est très étudié par les médecins et les apothicaires qui lui trouvent toute sorte de vertus : Dufour lui attribue la capacité de faciliter la digestion, de guérir la goutte ou les maladies de poitrine, de faire venir les menstruations, et en recommande l’usage pour après un accouchement : selon lui, deux tasses par jour permettent de retrouver complètement ses forces ! Un siècle plus tard, lEncyclopédie est bien plus prudente sur ses vertus médicales et commence même à critiquer les effets du café sur l’organisme :

C’est par-là que la fermentation qu’il cause dans ​​le sang, utiles aux personnes grasses, replètes, pituiteuses, et à celles qui sont sujettes aux migraines, devient nuisible aux gens maigres, bilieux, et à ceux qui en usent trop fréquemment.

François Thiérion, président Société d’Agriculture, des Sciences, Arts et Belles-Lettres de l’Aube, va plus loin dans ses critiques. Dans un discours prononcé en décembre 1839, il attribue la baisse de qualité de la poésie française depuis la fin du 18è siècle… au fait que les gens de lettres se sont mis à boire du café ! Ce dernier, en supplantant le vin, boisson des artistes par excellence depuis l’Antiquité, a favorisé le goût pour les sujets utiles et sérieux (mathématiques, philosophie, ou politique) tout en faisant s’éteindre peu à peu le génie poétique. Sa solution : une combinaison astucieuse des deux boissons :

Ainsi, s’agit-il d’une composition poétique, le café pourra aider à en disposer le plan, à en combiner les parties régulièrement entre elles, et dans l’ordre le plus parfait : mais le vin procurera l’enthousiasme nécessaire pour en rendre l’exécution brillante ; le vin fera jaillir les étincelles du génie, suggérera ces élans qui ravissent, ces transports d’une verve toute de feu.

Le texte complet de son discours est accessible sur P@trimoine en images . A lire avec un bon café, ou un verre de vin ?

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1 Commentaire

  1. REGO Manuela

    Je m’intéresse à l’histoire du café. J’ai aimé ce post.

    Réponse

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