En mars 1843, tout Paris s’enflamme pour la nouvelle pièce de Victor Hugo : Les Burgraves, présentée au Théâtre-Français (théâtre de la Comédie Française). Avatar ultime du drame romantique, la pièce fait évoluer ses personnages dans un Burg (château allemand) du Moyen Age. Au programme : une vieille sorcière préparant sa vengeance, le retour de l’empereur Frédéric Barberousse (que l’on croyait mort), une histoire d’amour contrariée et des trahisons en pagaille. La pièce connaît un succès correct auprès du public, avec 33 représentations, malgré une réception critique plutôt tiède. L’intrigue complexe de la pièce ainsi que ses fréquents retournements de situation donnent naissance à de nombreuses parodies : Les Barbus-graves, Les Hures-Graves ou encore Les Burgs infiniment trop graves. L’auteur de cette dernière, Cham, y aborde ainsi la capacité des personnages à porter plusieurs noms :
Voilà le beau de l’école romantique, c’est que chaque personnage a toujours deux ou trois noms : Otbert est Yorghi Spadacelli, jusqu’à ce qu’il prenne un autre nom, ce qui ne tardera pas d’arriver… le père Job faisait ses farces dans sa jeunesse sous le sobriquet de Fosco […]… Pour mon compte, je suivrai cette mode burgravienne : je n’irai plus aux Variétés que sous le nom d’Oscar… je me ferai inscrire au théâtre du Palais-Royal sous le sobriquet d’Arthur… quant au Théâtre-Français, c’est différent ; je n’irai plus sous aucun nom tant qu’on y jouera des pièces allemandes.
CHAM, Les Burgs infiniment trop graves, tartinologie découpée en trois morceaux, 1843
Les Burgraves, sans être un réel succès, n’est pas non plus un échec retentissant lors de sa première représentation au public. Pourquoi est-elle aujourd’hui considérée comme la pièce ayant mis fin au théâtre romantique ? Cette légende repose sur le contexte médiatique particulier de ce début d’année 1843. Tout d’abord, c’est une actrice non retenue pour un rôle, Mlle Maxime, qui mobilise son cercle d’amis journalistes contre la pièce. Puis c’est une pièce présentée à l’Odéon qui crée la concurrence : Lucrèce, drame de François Ponsard, qui se réclame du mouvement « classique » opposé au romantisme. Mais la légende de l’échec des Burgraves se crée dans la seconde moitié du 19e siècle, en particulier sous la 3e République. En effet, Les Burgraves ne correspondent plus au goût du jour, mais sont surtout bien difficiles à valoriser dans un contexte de tension permanente avec l’Allemagne… On préfère donc décrire Les Burgraves comme un « Waterloo romantique » face à la Lucrèce de Ponsard.
La médiathèque Jacques-Chirac conserve un exemplaire des épreuves corrigées des Burgraves : l’une des étapes de la publication de la version imprimée de la pièce. Victor Hugo corrige ici l’une des versions du futur texte imprimé en y apportant ses dernières modifications. Cet exemplaire est autographe : annoté de la main même de l’auteur.
Ce document nous apporte des informations essentielles sur l’histoire du texte, en nous montrant le cheminement de la pensée de l’auteur : ses repentirs, ses modifications de dernière minute… jusqu’au texte imprimé.
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