Parfois, lorsqu’on entend une référence à la Bible, chrétienne ou hébraïques, surtout sur des questions de société, la thèse avancée par la personne qui la cite, commence par « la Bible dit que… » et là encore souvent pour justifier cette même thèse par un verset ou un chapitre de ce livre. Certaines lectures ont tendance à réduire ces mêmes versets cités à l’opinion que l’on souhaite défendre et ils sont convoqués alors en justification de cette même opinion, non questionnée ou pire, que l’on considère comme sacrée, c’est-à-dire comme non questionnable. Que peut-on entendre par « genre » ou « altérité » dans la Bible hébraïque ?
Dans le cadre de ce billet, la question peut être ouverte par la belle est audacieuse gravure sur cuivre issue la Physique sacrée, de Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733), présente dans le fonds des incunables de la Médiathèque Jacques-Chirac. Cette gravure représente la création de l’homme où nous pouvons voir Adam, au centre et, dans le cadre qui l’entoure, les différentes étapes embryologiques dont le fil conducteur peut être inspiré des vanités : de la poussière à la poussière, le miroir renvoyé est celui du squelette, réduit à son plus simple appareil. L’auteur, dans ce traité, compilant art, science et bible, tend représenter, pourrait-on dire factuellement, l’histoire humaine et la vie naturelle où, pour l’histoire humaine, la morale et la culture s’enracinent dans une identité biologique essentielle. Mais n’est-ce pas aller vite en besogne ? La Genèse, que cite Scheuchzer présente un texte beaucoup plus complexe et pour lequel la binarité masculin/ féminin n’est pas du tout acquise. Deux récits de la création de l’humain s’y succèdent, dont le premier dans l’ordre d’apparition présente une humanité à deux visages, à la manière d’un androgyne primordial.
Le second récit présente un autre être vivant formé de la chair du premier qui découvre une altérité depuis sa propre chair : une aide (‘ezer, en hébreu). Cette aide d’Adam a même deux noms : isha et ’Hava (Gen. 3:20 et 4:1) littéralement « vivante ».
Mais ce second récit ne peut lui-même être interprété uniquement depuis ce que l’on nomme traditionnellement une complémentarité genrée de l’homme et de la femme avec des tâches sociales assignées. Cette lecture repose sur un contresens ancien de l’épisode de la formation d’Eve depuis une côté anatomique d’Adam. Le mot hébreu tsèla’ signifie littéralement « le côté », comme le côté d’un bâtiment et non une côte. Tragique contresens… Selon les interprétations, c’est ainsi le rapport à l’altérité qui se joue : l’autre n’est-il qu’une partie de moi-même ? A côté de moi, l’autre que je rencontre ne me bâtit-il pas dans cette rencontre, allant « en aide » (‘ezer, en hébreu) à cette solitude initiale ?
De même, dans les traditions juive, chrétienne et musulmane, Abraham et Sarah sont considérés comme les premiers patriarche et matriarche dans nos cultures monothéistes.
Les Docteurs du Talmud les qualifient de toumtoumim, c’est-à-dire de personnes au sexe caché et indéterminé. Etrange manière de qualifier par ce qui peut apparaître comme un cas marginal d’indistinction sexuelle ce couple fondateur. Ce que certaines sociétés considèrent comme à la marge ou une exception, ne pourrait-on le considérer comme, bien au contraire, à l’origine d’un autre rapport à soi-même et aux autres, toujours en construction ? Ce sont ces interrogations que la conférence « Abraham et Sarah, Ruth et Noémie, David et Jonathan : interrogations sur genres et altérité dans la Bible hébraïque » convie le public à travers un corpus de textes fondateurs de la pensée et de la tradition juive puis avec une présentation, par les conservateurs de la Médiathèque Jacques-Chirac, de manuscrits et incunables ouvrant à la discussion.
Conférence le mercredi 18 septembre 2024 à 17h30, dans le cadre du cycle de conférences annuel des Amis de la Médiathèque de Troyes, par Géraldine Roux, agrégée et docteure en philosophie, chercheure associée au CRIMEL (Université de Reims Champagne Ardenne)
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