S’il est un collectionneur de renom, habillant de splendides reliures les ouvrages qu’il acquiert tout au long de sa vie, c’est bien Jean Grolier de Servières (1479 ?-1565), surnommé le prince des bibliophiles. Grand amateur de reliures, Jean Grolier fait travailler les plus grands relieurs du temps, aussi bien italiens que français. De fait, il constitue successivement trois bibliothèques, tout au long de sa carrière de trésorier de France, en poste un temps à Milan durant l’occupation française. Des quelques milliers de volumes qu’il eut en sa possession, environ 500 exemplaires sont connus, aussi bien en mains privées que dans des collections publiques.
La médiathèque de Troyes conserve deux remarquables reliures Grolier, d’époques différentes, dont la présence est attestée en 1692 dans la fabuleuse bibliothèque de Jean IV Bouhier (1673-1746). Pour mémoire, achetés à la veille de la Révolution par le dernier abbé de Clairvaux, les 35 000 volumes provenant de la dynastie des Bouhier enrichissent alors considérablement la bibliothèque de l’abbaye, avant d’être « mise sous la main de la nation » par les révolutionnaires, puis déposée par l’État en 1803 à la toute jeune bibliothèque municipale de Troyes.
Le premier volume, une édition bolognaise des Nuits attiques d’Aulu-Gelle imprimée chez Benedetto Faelli en 1503, semble bien avoir appartenu à la première bibliothèque de Jean Grolier, dans sa période milanaise, principalement constituée de reliures à plaquettes. L’exemplaire troyen offre effectivement un décor de ce type : sur chacun des plats recouverts de veau brun, trois médaillons, imitant des camées antiques, colorés de mastic rouge, vert et bleu, représentent des scènes de l’Antiquité ; on peut ainsi reconnaître au plat inférieur Hannibal recevant la tête de son frère Hasdrubal, tué par l’armée romaine. Une riche ornementation encadre ces motifs, alternant dorure aux petits fers et estampage à froid. Le corps d’ouvrage présente plusieurs ex-libris manuscrits, de nombreuses annotations portées par différentes mains et des essais de plume, mais c’est sur la garde volante inférieure que l’on trouve la marque de possession de Grolier, soit la devise « Portio mea, Domine, sit in terra viventium » (Que ma part, Seigneur, soit sur la terre des vivants, Livre des Psaumes). On peut lire également, à la toute fin du texte imprimé, sous l’adresse éditoriale, une mention manuscrite indiquant que le livre avait été lu en son entier (perlectus) en 1510, ce qui conforte la thèse de la provenance italienne, Grolier effectuant son premier séjour milanais entre 1509 et 1513.
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Dans un tout autre style, la reliure qui recouvre Il Libro des cortegiano del conte Baldesar Castiglione, publié à Venise chez Alde Manuce en 1528, présente un décor géométrique, typique de la troisième bibliothèque de Grolier, qu’il reconstitue pour sa nouvelle demeure parisienne à partir de 1538, après des démêlés judiciaires. Il fait alors appel à de grands relieurs parisiens, tels Etienne Roffet, Jean Picard ou Gomar Estienne. C’est très vraisemblablement ce dernier qui a réalisé cette somptueuse reliure en veau fauve aux entrelacs géométriques à réhauts peints blancs ou noirs. La combinaison des motifs entrelacés, identiques sur les deux plats, forme au milieu un ovale où se trouvent gravés à l’or le titre de l’ouvrage sur le plat supérieur, la devise de Grolier, sur le plat inférieur. Si dans la première période du collectionneur, l’ex-libris « Io. Grolerii et amicorum » [de la bibliothèque de Jean Grolier et ses amis] était manuscrit, on le trouve à présent gravé en lettres d’or sur la reliure, au bas du plat supérieur ; on parle alors de « supra ex-libris ».
Pour admirer d’autres reliures ayant appartenu à ce bibliophile, nous vous invitons à explorez la base des reliures numérisées de la Bibliothèque nationale de France, où 57 reliures sont répertoriées.
Enfin, pour les mordus, nous évoquerons le célèbre et sélecte Grolier Club, société de bibliophiles à New York, fondée en 1884.
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