DU ROULEAU DE PAPYRUS
AU CODEX DE PARCHEMIN
De nos jours, le livre évoque de façon évidente « cet objet dont on tourne les pages ». Le mot « livre » vient du latin liber. Il désigne la pellicule située entre le bois d’un arbre et l’écorce extérieure, qui a porté, avec la pierre, les premières écritures. Durant l’antiquité, les hommes ont utilisé plusieurs supports, des tablettes d’argile ou de cire, des bandes de lin ou de cuir, parfois reliées les unes aux autres.
Le rouleau de papyrus, support privilégié de l’écriture durant l’antiquité.
Le nom grec du livre « biblion« , provient de « biblos », « papyrus ». Dès 3000 ans avant Jésus-Christ, les 201 Égyptiens utilisent les fibres d’un roseau abondant dans les marais du Nil.
Découpés et disposés en lamelles, ils constituent des feuilles qui collées les unes aux autres forment un rouleau ou volumen pour les Romains. Aux extrémités, des baguettes de bois ou d’ivoire soutiennent les bords et permettent d’enrouler, de plier le rouleau. Mais le papyrus se prête mal au pliage et ne peut recevoir l’écriture que sur un côté. Néanmoins, le rouleau reste en usage durant le moyen-âge, car bien adapté aux listes, généalogies, chroniques, rouleaux des morts, tel celui de l’abbaye bourguignonne Saint-Bénigne réalisé au XVe siècle (manuscrit 2256).
Malgré ces défauts, le papyrus est le support privilégié de l’écriture durant l’antiquité. L’Égypte profite de sa situation de monopole pour diffuser sa production ou au contraire en refuser la vente. Ainsi l’auteur antique Pline raconte qu’au IIe siècle avant Jésus-Christ, le souverain égyptien Ptolémée V aurait interdit l’exportation de papyrus vers Pergame, dans l’actuelle Turquie, dont la bibliothèque rivalisait avec celle d’Alexandrie d’ Égypte. Le roi de Pergame aurait alors favorisé la mise au point d’un support animal, la « charta pergamena » ou peau de Pergame, plus connue sous le nom de parchemin.
Le codex de parchemin, une révolution dans l’histoire du livre.
A partir du Ier siècle après Jésus-Christ, la forme du livre change suite à l’emploi d’une matière première animale, le parchemin. Du volumen, elle passe au codex. Si l’invention semble avoir été romaine, le christianisme en a certainement favorisé la diffusion. Le codex présente l’avantage d’accueillir l’écriture sur les deux faces d’une même feuille. Il peut compter plusieurs centaines de pages et se feuillette plus aisément que ne se déroule un rouleau, permettant ainsi des retours en arrière et laissant plus de place à l’image.
Les cahiers copiés et enluminés sont cousus ensemble sur des bandes de cuir, les nerfs. Ils sont fixés à des planches de bois, les ais, recouverts ensuite de parchemin ou de cuir. Deux oreilles ou oreillettes peuvent être cousues au dos du manuscrit pour permettre une meilleure prise. En effet à cette époque, les ouvrages sont empilés les uns sur les autres. De gros clous et cornières en cuivre et laiton protègent la reliure de ces ouvrages rangés à plat.
Le manuscrit 2391 de la BMVR de Troyes est exceptionnel car il conserve sa reliure originale de la seconde moitié du XIIe siècle.
La reliure répond à un double objectif, protéger et décorer. Les techniques de décoration sont variées. La plus simple est la couverture en peau telle la peau brute de cerf qui recouvre les dix volumes des œuvres de saint-Augustin (manuscrit 40). L’estampage à froid consiste à imprimer des motifs en relief en pressant une plaque gravée en bois ou en fer. La BMVR de Troyes conserve ainsi neuf reliures romanes du XIIe siècle, pour un total de 27 en France et 90 dans le monde (manuscrit 2266). Il existe aussi des reliures d’orfèvre en métal repoussé, ornées de pierres précieuses tel le manuscrit 2251 du XIIIe siècle.
DU PARCHEMIN AU PAPIER.
A partir du Ve siècle, la disparition de l’Empire romain d’Occident, puis l’affaiblissement des relations commerciales avec l’Égypte conquise par les Arabes au VIIe siècle, rendent difficiles l’approvisionnement en papyrus, qui disparaît d’Europe au profit du parchemin.
Le parchemin, support privilégié de l’écriture dans l’Occident médiéval.
Les peaux brutes de mouton, de chèvre ou de veau subissent un traitement permettant le décollement des poils ou de la laine sur le côté fleur, et de la chair sur la croûte.
Le texte ci-dessous, extrait d’un manuscrit allemand du XIIIe siècle, décrit les étapes de fabrication du vélin, parchemin de grande qualité réalisées à partir de peaux de veaux morts – nés :
« La peau provenant du veau est mise dans l’eau
Ajoute de la chaux, de telle sorte qu’elle morde cruellement la peau
Ceci doit nettoyer la peau et épiler les poils
Prépare un cadre et étends-y la peau
Expose-la au soleil pour que l’humidité s’en échappe
Le couteau passe et enlève les poils et la chair
et il rend la peau fine.
Prépare la peau pour faire des livres :
D’abord coupe-la en feuilles carrées
Les feuilles sont groupées en cahiers de dimensions égales
Puis vient la ponce qui enlève ce qui est superflu
Enfin la craie qui empêchera l’encre de couler. »
Dans chaque peau, le parcheminier découpe une feuille de parchemin qui est ensuite pliée selon le format du livre: en deux pour faire les pages d’un livre de grand format, appelé un in-folio, ou en quatre pour un in-quarto, ou en huit pour un in-octavo. Un livre de format courant nécessite une vingtaine de parchemins.
Ce travail de plusieurs semaines et la rareté de ces peaux font du parchemin un support coûteux. Par économie, certains textes jugés inutiles sont grattés afin de réutiliser le parchemin. Ce sont des palimpsestes (du grec « écrit à nouveau ») dont il est possible aujourd’hui de faire réapparaître les textes effacés grâce des procédés scientifiques.
A la fin du Moyen Age, l’Europe découvre un support moins coûteux, le papier.
Inventé par les Chinois au Ier siècle après Jésus-Christ, connu des musulmans vers 750, le papier se répand en Europe par l’intermédiaire de l’Espagne musulmane au XIIe siècle. A Troyes, capitale d’une région productrice de draps de lin et de chanvre, la présence de moulins permettant de broyer les chiffons, nécessaires à la fabrication de pâtes à papier, est attestée vers 1350. La pâte à papier obtenue est ensuite étendue sur des formes, châssis rectangulaires contenant un grillage et le filigrane, c’est à dire la marque de fabrique qui s’inscrira sur la feuille. Étendues sur des feutres et mises sous presse, les couches de pâtes sont ensuite séchées sur des fils, puis polies et encollées avec de la colle animale.
Il faut attendre la diffusion de l’imprimerie durant la seconde moitié du XVe siècle pour que le papier l’emporte définitivement sur le parchemin, qui restera néanmoins le support luxueux d’actes notariés prestigieux, comme les chartes d’anoblissement. Dans Les trois premières décades de l’histoire romaine de Tite-Live, manuscrit en deux volumes du XVe siècle, n°178, chaque cahier de papier est enveloppé d’une feuille de parchemin, preuve du prestige accordé à ce support.
PATIENT TRAVAIL DU COPISTE
Dès le VIe siècle, la règle de Saint Benoît organise les activités quotidiennes des moines. Les monastères sont des foyers de vie spirituelle, des centres de production agricole mais aussi des lieux de conservation et de copie des manuscrits. Les étapes de la copie. Avant d’entamer son patient travail d’écriture, le copiste doit préparer sa page blanche en réalisant la justification. Il trace une ou plus souvent deux colonnes. Il délimite des marges destinées à recevoir un commentaire ou glose, plus grande taille pour les lettres ou les miniatures, et indique par une « lettre d’attente » la lettre qui devra y être dessinée. A l’aide d’une roulette à clous ou d’un compas lui permettant de conserver un écart constant, il réalise la réglure ; il perce le parchemin de petits trous, avant de relier ces repères par un trait horizontal à la pointe de plomb (manuscrit 40). Pour travailler, les moines sont réunis dans un atelier de copie, le scriptorium. Ils écrivent sur des pupitres inclinés. Ils ont pour matériel un encrier, pot en corne ou en argile, un calame de roseau ou plus souvent une plume d’oie, taillée à l’aide d’un canif, enfin un grattoir pour corriger les éventuelles erreurs (manuscrit 59, manuscrit 900). L’original à recopier, parfois prêté par une autre abbaye, est privé de sa reliure. Les cahiers sont partagés entre les copistes. Mais ils peuvent aussi travailler sous la dictée. Ce travail de copie est placé sous l’autorité et le contrôle d’un chef d’atelier qui est aussi bibliothécaire, l’armarius, ainsi nommé car il détient les clefs de l’armoire où sont rangés les rares et précieux ouvrages. Délicate fonction puisqu’il doit prévoir et planifier la réalisation collective d’un manuscrit à partir de feuilles distinctes, réunies ensuite en cahiers avant l’étape de la reliure. Pour permettre au relieur d’assembler les cahiers dans le bon
ordre, on reporte à la fin de chacun d’eux un numéro d’ordre, la signature, ou le premier mot du cahier suivant, la réclame. Au XIIIe siècle, on commence à numéroter les feuilles des cahiers, c’est la foliotation.
L’évolution de l’écriture
Durant le moyen-âge, la langue de l’écrit est le latin, langue des érudits et des religieux, qui bien souvent se confondent. Mais à partir du XIIe siècle, un nombre croissant de livres sont écrits en langues nationales en usage dans la population (français, occitan, allemand).
La graphie aussi évolue durant cette longue période. Du IIIe au VIIIe siècles dominent l’onciale et la semi-onciale, héritées de l’antiquité romaine. Les textes sont écrits de façon continue, marquée par l’absence presque totale d’espace entre les mots et de signe de ponctuation. De rares majuscules, quelquefois en rouge, rythment le texte. La lecture difficile se fait le plus souvent à haute voix. Ainsi, le plus ancien manuscrit de la bibliothèque de Troyes daté du VIIe siècle comporte seulement quelques lignes de couleur rouge, les rubriques (manuscrit 504). Le règne de Charlemagne est marqué par la renaissance de l’art et de la culture. Une nouvelle écriture, la caroline est le résultat d’une recherche de lisibilité, d’uniformité dans l’Empire et d’économie du parchemin (manuscrit 960). Elle est à l’origine des écritures dites gothiques qui se diffusent en Occident à partir du XIIe siècle. L’écriture gothique « textura » formée de lettres longues et verticales d’une grande régularité, est réservée aux manuscrits liturgiques L’écriture gothique « rotunda » aux lettres plus arrondies se trouve dans les manuscrits scientifiques, juridiques et théologiques. Afin de réduire l’espace et le temps de copie, les moines utilisent de nombreuses abréviations. La page de titre n’existe pas. Le texte commence en haut du premier feuillet par une formule en latin « incipit » traduisible par « ici commence », écrite à l’encre de couleur. Dès le XIIe siècle apparaissent les colophons (du grec « achèvement » ) qui donnent des précisions sur le titre et l’auteur du livre, le nom du destinataire, la date, le lieu et le nom du copiste.
QUAND LA PEINTURE
ETAIT DANS LES LIVRES
La réputation des manuscrits médiévaux vient surtout de leur illustration. Les ouvrages réalisés pendant le haut Moyen Age sont pourtant peu décorés. L’enluminure, du latin « illluminare » qui signifie rendre lumineux, est une lettre dont le fond est rehaussé d’une couche d’or. Cet art atteint son apogée du XIIe au XVe siècles.
Embellir, expliquer et enrichir le texte
En 1134, le chapitre général de l’ordre de Cîteaux interdit les représentations humaines et animales, les lettres polychromes (de plusieurs couleurs), et les fermoirs d’or. Bernard, abbé de Clairvaux dénonce ces illustrations sur fond d’or, ces bêtes fantastiques qui détournent l’attention des lecteurs. Le manuscrit 27 réalisé dans le scriptorium de l’abbaye de Clairvaux vers 1140 obéît à ces règles.
Mais une autre vision cohabite, tendant à glorifier Dieu par l’usage d’enluminures somptueuses, à laisser l’artiste libre d’embellir ces manuscrits, dont certains sont destinés à être offerts ou sont commandés par des rois ou des princes. Le manuscrit 458 de la B.M.V.R. de Troyes, la Bible de Saint Bernard, qui serait annoté de la main même de Saint Bernard, est très proche du manuscrit 2391, la Bible des Comtes de Champagne. Tous deux ont été réalisés à Chartres vers 1140, pour le comte Thibaut II de Champagne, qui donna l’un des deux exemplaires richement illustrés à son ami Bernard de Clairvaux.
A partir du XIIe siècle, les illustrations prennent une place croissante dans les manuscrits, jusqu’à occuper une place parfois plus importante que le texte (manuscrit 178, manuscrit 1897. Elles sont variées et remplissent plusieurs fonctions.
– Les lettrines, lettres majuscules peintes d’une seule couleur, servent à se repérer dans les paragraphes d’un texte dont les éléments de ponctuation, les retours à la ligne sont rares. – La lettre ornée est une majuscule servant de cadre et/ou de support à un décor d’entrelacs de plantes, d’animaux et de personnages souvent fabuleux
(manuscrit 3, manuscrit 458, manuscrit 2391).
– La lettre historiée est une majuscule servant de cadre à une scène narrative expliquant le texte (manuscrit 33, manuscrit 106)
– Une miniature est un tableau représentant une scène narrative expliquant le texte (manuscrit 59, manuscrit171).
Le manuscrit 2391 présente des tableaux de concordance des Évangiles illustrés de paysages urbains. Certaines marges sont embellies par un décor végétal qui peut se terminer par des personnages, des animaux, des scènes de chasse, comme le montre le manuscrit 89.
L’art des enlumineurs
Pour réaliser leurs œuvres, les peintres enlumineurs utilisent des pinceaux formés de quelques poils de bœuf, de martre ou d’écureuil, des chiffons pour essuyer pinceaux et plumes, des mortiers pour y écraser les pigments qui allaient entrer dans la composition des encres. L’encre rouge a pour base un oxyde de plomb, le minium,. L’encre noire s’obtient par dissolution de noir de fumée ou d’autres carbones dans l’eau. L’encre noire dite métallo-gallique mélange des solvants, tel le vitriol, et des tannins végétaux, telles les galles du chêne. L’encre bleue est obtenue en broyant une pierre importée d’Asie centrale, le lapis-lazuli; l’encre verte à partir d’une pierre d’un vert vif, la malachite.
Les plus anciennes couleurs proviennent des terres, tel l’argile qui fournit des ocres, tel le kaolin ou argile blanche qui réduit en poudre peut se mélanger avec un autre pigment. Mais généralement, les couleurs ne se mélangent pas. La peinture se fait ton sur ton, lorsque la couleur précédente est sèche. Parfois, les enlumineurs collent une fine feuille d’or avant de peindre. Dans ce cas, comme pour les encres et les couleurs, l’ajout d’un liant est indispensable pour que la peinture adhère à la surface du parchemin. Il peut être la gomme arabique, tirée d’un arbre, l’acacia d’Arabie, l’albumine ou blanc d’œuf ou la colle de poisson.
L’enluminure est l’œuvre de spécialistes, les enlumineurs et les miniaturistes. Certains d’entre eux voyagent d’une abbaye à l’autre, répondant à des commandes précises. Jusqu’au XIIe siècle, ce sont généralement des moines. Mais à partir du XIIIe siècle, la création des universités et l’apparition d’un public fortuné désireux de posséder quelques ouvrages, entraînent une augmentation de la demande en livres de piété, traités de philosophie, d’histoire… La fabrication d’un manuscrit, et notamment sa décoration, se fait de plus en plus dans des ateliers urbains et laïcs. Mais les techniques restent semblables et même les premiers livres imprimés, les incunables sont encore décorés à la main à la fin du XVe siècle.