Dépeintes comme des créatures hybrides, à moitié humaine, à moitié oiseau, poisson ou serpent selon les récits, les sirènes jouissent d’une réputation des plus sulfureuses depuis l’Antiquité. Femmes libres, féministes avant l’heure, annonciatrices de la figure de la sorcière car affranchies du pouvoir des hommes, elles sont à la fois l’archétype de la femme fatale et la femme savante, s’opposant de facto aux préceptes des sociétés patriarcales.
Dans la tradition homérique, elles sont décrites comme des divinités des mers séjournant en Sicile. Musiciennes exceptionnelles, séduisant les navigateurs avec leurs chants, leurs lyres et leurs flûtes, on raconte qu’elles désorientaient les marins qui s’échouaient ensuite contre les rochers afin de les dévorer. Mais, contrairement à ce que l’on peut croire, les sirènes « existaient » avant la rédaction de l’Iliade et l’Odyssée. Dans la mythologie grecque, elles apparaissent comme les filles du fleuve Achélôos et de la muse Calliope (la muse de la poésie épique). Dans le monde romain, ce sont des humaines au service de Perséphone, future déesse des Enfers. Ayant failli à la protéger du dieu Hadès, responsable de son enlèvement, elles auraient été punies par Déméter, la mère de Perséphone qui les aurait transformées en monstre « mi-humain, mi-oiseau », sans qu’elles ne soient rattachées à la figure des « harpies ».
Sans s’attarder sur toutes les versions du mythe, les sirènes sont des créatures souvent rattachées à la symbolique funéraire. En effet, leur chant, leur existence même, est annonciatrice de mort, dans le sens où elle matérialise un passage vers l’au-delà. Mais quand est-il vraiment dans la littérature médiévale et moderne (16e-18e) ? La figure de la sirène a-t-elle évoluée au fil du temps ? La créature féminine « mi-femme, mi-poisson » que nous connaissons tous a-t-elle toujours existé sous cette forme ? Dans les collections de la médiathèque, on trouve le Hortus sanitatis ou « jardin de santé », un ouvrage considéré comme l’encyclopédie de vulgarisation décrivant le mieux les monstres et animaux aquatiques réels ou imaginaires identifiés au 15e siècle. Parmi ces créatures, se trouve la sirène, ou plutôt les différents types de sirènes.
En effet, dans la littérature imprimée, il n’existe pas un seul type de sirène. La mélusine côtoie le triton et la sirène, sans pour autant qu’il s’agisse d’une sous-catégorie de l’un ou l’autre. Tous sont des animaux marins hybrides à part entière, ayant pour seul point commun le fait d’être mi-humain, mi-poisson.
Dans le Monstrorum Historia d’Aldovrandi (16–), plusieurs monstres inspirés directement de la figure de la sirène sont représentés. Pensé comme une encyclopédie, cet ouvrage relate les récits attestant de l’existence de tel ou tel monstre, réel ou fictif. On y trouve donc des créatures hybrides, mi-cheval mi-poisson, mi-démon mi-poisson, ou encore mi-poisson mi-oiseau (comme l’on peut le voir à la page 369 avec cette créature semblable à une érinye).
On retrouve ces monstres trachystomates (genre d’Amphibiens qui conservent leurs branchies, auquel appartient la sirène) dans de nombreuses encyclopédies du 16e-17e siècle. Dans les collections de la Médiathèque, la somme herméneutique de Conrad Gesner (1558) est l’un des exemples les plus marquant :
Si la figure de la sirène apparaît comme un monstre presque réel à l’époque moderne, ses représentations et sa perception ont beaucoup changé depuis l’invention du cinéma à la fin du 19e. De monstre séducteur, la sirène est devenue une créature merveilleuse à laquelle on s’attache. Outre La petite sirène de Walt Disney, de nombreuses héroïnes de dessins animés sont des sirènes. Citons pour exemple le dessin animé H2O ou encore Lou et l’île aux sirènes., où les personnages principaux n’ont rien de monstrueux.
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