L’affaire Auguste Harmand, de conservateur à fraudeur

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Par Anne-Charlotte Pivot | Le 13 mai 2022 | Histoire locale | Personnages troyens

Ces dernières années plusieurs affaires de vols de livres par des professionnels des bibliothèques ont défrayé la chronique. Parmi les plus célèbres, citons l’affaire Michel Garel mettant en cause un conservateur de la Bibliothèque nationale de France (BnF), ou l’affaire Massimo De Caro, conservateur napolitain condamné pour vol, trafic de livres anciens à l’international (voir l’affaire du faux Sidereus Nuncius de Galilée).

Outre ces affaires spectaculaires, tous les grands établissements ont connu, à un moment donné, des escrocs, des voleurs ou des faussaires. Très courantes au 19e siècle, une époque où de plus en plus de professionnels des bibliothèques, à la fois conservateurs et bibliophiles, avaient accès aux collections patrimoniales, ces pratiques criminelles ont fait l’objet de nombreux procès, comme à Troyes, malgré l’existence d’un règlement strict :

A Troyes, c’est l’affaire Auguste Harmand qui a marqué les esprits. Bibliothécaire pendant 31 ans de 1842 à 1873, il comparaît devant les Assises pour « détournements par un dépositaire public », « vols dans un fonds public », « faux en écriture ». On l’accuse de s’être servi dans les fonds de l’établissement et d’avoir revendu certaines pièces pour son compte. Son modus operandi ? La falsification des catalogues de la bibliothèque pour dissimuler ses méfaits :

« Au mois d’octobre 1870, Antoine [le garçon de bibliothèque] apporta à la Commission des fascicules détachés laissés sur le bureau d’Harmand. Le 16 octobre, des traces matérielles de mutilations de livres [furent] encore retrouvées sur son bureau : livres dépecés, débris de reliure, fascicules détachés, colle et vieux papier : tout démontrait les habitudes criminelles du bibliothécaire. Il fut entendu et sa culpabilité fut certaine. [Mais], on eu le tort de ne pas avertir la justice, on prit en pitié l’accusé et on se contenta de lui faire craindre sa mise à la retraite immédiate. Celui-ci profita de cette fâcheuse condescendance et priva Antoine de son modeste emploi » – in Affaire Harmand, « Actes d’accusation », 1873, p. 1-6. Cote : Mit.b.4.67/77

Ce n’est que durant l’année 1872 que des perquisitions sont opérées au domicile d’Harmand et qu’un grand nombre de pièces soustraites à la bibliothèque fut retrouvé chez lui. Harmand est alors officiellement inculpé. Les éléments de preuve ? Entre 1846 et 1872, dates de ses fonctions, aucun registre d’entrée et de sortie des livres n’a été tenu. Quant aux anciens catalogues : on y trouve de nombreux grattages, ce qui signifie que des titres ont été rayé de ces registres…tous les professionnels du livre situés à Troyes sont alors mobilisés pour éclaircir l’affaire : les archives municipales, départementales, hospitalières sont priées de donner leur expertise. Le procès d’Harmand s’ouvre officiellement en 1873.

Après expertise, l’accusé est obligé de reconnaitre que de nombreuses soustractions ont été commises au sein de la bibliothèque de Troyes lorsqu’il en avait la direction. Mais en tant que faussaire, il avait pris soin d’effacer la plupart des preuves à son encontre, ce qui l’amène à nier toute responsabilité dans cette affaire lors du procès. Il va même jusqu’à accuser Antoine, le garçon de bibliothèque. Il indique que pour le perdre, Antoine aurait dépecé des volumes en enlevant des pièces qu’il aurait ensuite cachées dans différents endroits de la Bibliothèque. Cette accusation sans fondement n’est pas retenue contre Antoine.

La Cour sait néanmoins que les vols ont été commis par quelqu’un de la maison, or il n’y avait à cette époque que trois employés et de nombreux documents volés ont été retrouvés chez Harmand, bien qu’il prétende que ces documents lui appartiennent et accuse ses deux collègues : « Ce n’est pas moi qui devrais être sous les verrous, c’est Antoine et Assier » (Affaire Harmand, pp. 120-121). C’est finalement au domicile d’Harmand que l’ultime preuve sera trouvée : des pièces en patois bourguignon, extrêmement rares, et initialement présentes au sein des fonds de la bibliothèque, sont saisies. La culpabilité d’Harmand est alors évidente. La sanction tombe le 7 février 1873 et il est suspendu et mis à la retraite d’office.

Cependant, malgré les nombreuses pièces à conviction récupérées par les forces de l’ordre (le président de la cour dispose d’au moins cinq catalogues de livres anciens en vente chez le libraire Dufay qui aurait été constitués par Auguste Harmand, ainsi que de livres mutilés par ses soins), l’accusé crie encore au complot et refuse la sentence ! Il argue que les ouvrages découverts à son domicile lui appartiennent et qu’il ignore la provenance de ces derniers. Après des années de procédure, il est finalement condamné en 1878 à 4 ans de prison ferme et décède quelques mois plus tard.

Acte de décès d’Auguste Harmand (1835-1879), in Affaire Harmand, ex-bibliothécaire de la ville de Troyes (1873), Cote : Mit.b.4.67/77

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3 Commentaires

  1. Babylas

    Qui aurait cru que le paisible rédacteur du catalogue cachait un tel malfrat !
    Article très intéressant 🙂

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  2. Severus Rogue

    Rogue aime cet article !

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  3. Lilith le chat

    De souvenir, quand j’étais encore chaton, j’avais visité la collection de l’actuelle Grande Salle; à l’époque domiciliée au Musée St Loup;
    et on m’avait raconté lors de cette rencontre que des enluminures avaient été dérobées par le gardien du musée.

    Légende urbaine ou triste réalité… ?!

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