Comme chaque année à pareille époque, une douce odeur de barbe à papa et de beignets flotte sur la ville. C’est le retour des Foires de Mars, et l’occasion pour nous de vous présenter une très belle affiche lithographiée conservée dans nos fonds, témoin de la longue histoire de cet événement annuel.

L’affiche annonce la venue à Troyes de Montagnes russes à vapeur, une attraction en provenance d’outre-Manche qualifiée de « dernière nouveauté », et « plus grande attraction du jour ».

Si le bandeau fait clairement référence à la Foire de Mars, l’affiche n’est en revanche pas datée. Cependant, plusieurs indices vont nous permettre de situer la manifestation dans le temps.

Les premières Montagnes russes sont construites en 1884 à Coney Island, haut lieu de la fête foraine américaine au tournant du siècle dernier. De nombreuses innovations voient le jour dans les années qui suivent, telle cette locomotive à vapeur utilisée pour tirer les wagons.

Le bandeau de l’affiche situe la Foire « place du lycée, contre le jardin du théâtre ». Or les Foires de Mars, créées en 1848, ont d’abord occupé les places du Préau et de la Préfecture, avant d’être déplacées à la fin du 19^e siècle vers le mail Saint-Nicolas (actuel boulevard Victor-Hugo) pour s’étendre progressivement sur le boulevard Gambetta jusqu’au Théâtre de Champagne.

L’affiche porte en outre la marque de l’imprimeur Theophilus Creber (1845-1902), situé à Plymouth, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Quelques recherches nous indiquent qu’il s’était fait une spécialité des affiches de spectacle, plus particulièrement de cirque et de fêtes foraines. Grand amateur de ce qu’on appellerait aujourd’hui les arts du spectacle et les arts du cirque, il était également propriétaire de plusieurs théâtres et d’un cirque, situés dans la ville de Plymouth. Décédé à 57 ans, on peut raisonnablement penser qu’il a été en activité entre 1870 et 1902.

L’affiche mentionne par ailleurs le propriétaire du manège, J.W. Bostock, originaire de Londres. Issu d’une dynastie de forains anglais, James Williams Bostock est, avec deux de ses frères, l’héritier de la ménagerie Bostock-Wombwell créée par leur grand-père. Comme ses frères, il est lui-même à la tête de plusieurs entreprises dans le domaine du spectacle itinérant, et voyage à travers l’Europe. Il périra en 1918 lors de la Première Guerre mondiale.

Sur cette affiche, on peut encore apercevoir deux personnages portant l’uniforme de l’Armée du Salut. Fondée en 1878 à Londres par le pasteur William Booth, elle est implantée en France par sa fille, Catherine Booth à partir de 1881.

Enfin, la présence d’un timbre fiscal est également riche en informations. Si le timbre prouve que le diffuseur de l’affiche s’est acquitté de la taxe en vigueur, il nous permet également de préciser notre datation, sachant qu’il a été en circulation entre 1883 et 1890.*

Tous ces éléments nous permettent ainsi de dater l’événement aux alentours de 1885-1890.

C’est l’âge d’or de la fête foraine et la grande époque des ménageries, des musées animés et autres spectacles et divertissements à sensation. Les premiers manèges font leur apparition. La publicité par l’affiche est alors largement utilisée pour annoncer l’événement ou promouvoir une attraction spécifique.

Mais heureusement, d’autres sources d’information existent déjà… Et c’est finalement une recherche dans les pages numérisées du Petit Troyen qui nous permet de dater précisément cette édition des Foires en mars 1889.

Les colonnes du quotidien se font largement l’écho de la programmation, chaque année renouvelée. A côté des Montagnes russes à vapeur, les Troyens accueillent notamment cette année-là le Musée Crassé et ses collections anatomiques, ethnologiques et pathologiques, ainsi que le géant anglais Thomson, 2m35, et son adversaire Thomas Dalroy ; un grand manège mécanique à vapeur se tient place du lycée et, « pour les amateurs de mal de mer », l’attraction Silbon’s Sea on land est installée boulevard Victor Hugo. Le Cirque de Troyes, actuel Théâtre de Champagne, accueille alors les représentations du Grand Cirque International, sa troupe équestre et acrobatique, ses six éléphants, ses deux ours savants, et ses numéros de clowns.

Mais un examen attentif de l’affiche réserve encore une dernière surprise… Si la plupart des personnages qui figurent sur le dessin semblent anonymes, certains visages paraissent sortir du lot et identifier des personnalités bien réelles.

Ainsi, la Reine Victoria, qui règne alors sur le Royaume-Uni, entourée de son fils le futur Edouard VII, et de son mentor politique Lord Melbourne…

Ou encore les Présidents de la République français Sadi Carnot, et son prédécesseur Jules Grévy.

Toutes ces personnalités « voyagent » en compagnie de danseuses du Moulin Rouge, cabaret parisien qui sera inauguré cette année-là, dans ce qui semble finalement être une célébration de l’amitié franco-britannique.

Nombre d’entre elles restent à identifier ; n’hésitez pas à nous laisser un message si vous pensez les reconnaître !

*Un grand merci à M. Bruno Vincent, du blog Collection passion – les timbres fiscaux, pour son aide précieuse dans la datation de ce timbre.