Ils œuvrent en coulisses, mais leur activité constitue pourtant un des rouages essentiels de la Médiathèque. Dans la série « Que font les bibliothécaires ? », nous vous proposons aujourd’hui de découvrir un métier peu connu du grand public, exercé avec passion depuis près de 24 ans par Frédéric.
En quoi consistent tes missions ?
Il y a tout d’abord une part de service public, qui consiste à communiquer les documents conservés en magasins aux usagers qui en font la demande. Il faut savoir que la totalité de nos collections n’est pas en libre-accès. Certains sont conservés dans des magasins du fait de leur caractère ancien ou précieux, avec des conditions de conservation particulières. Pour faire de la place aux nouveautés sur les rayonnages du libre accès, d’autres documents sont placés en magasin, mais restent prêtables. C’est le cas notamment des DVD antérieurs à 1970, qui continuent d’être très demandés. Je suis donc en contact avec le grand public, pour des collections contemporaines, mais aussi avec les chercheurs, pour des documents plus anciens, ou plus pointus.
Je m’occupe également du rangement des collections dans les magasins, et de leur organisation scientifique. Il faut attribuer une cote à chaque document entrant, la consigner dans un registre. Puis faire le conditionnement dans des boîtes spécifiques. Pour cela, je collabore avec tous les services de la médiathèque.
J’interviens parfois avec des conservateurs sur des dons de particuliers, pour un diagnostic de l’intérêt des documents et de leur état sanitaire. Chaque don subit en effet une période de quarantaine avant d’être introduit dans nos fonds ; certaines moisissures dormantes sont invisibles à l’œil nu, et risqueraient de contaminer des collections saines.
Je travaille enfin sur le plan de conservation partagée des journaux et magazines, dont le principe est de répartir la conservation des collections entre différentes bibliothèques et services d’archives de la région. Ce qui suppose un travail de repérage et d’échange de titres, afin de constituer une collection la plus complète possible. Car ces fonds contemporains sont appelés à devenir le patrimoine des générations futures. Avec toutes les questions que cela pose. Aujourd’hui nous cherchons à préserver au maximum les originaux, en leur substituant des versions numérisées.
Mais quid de la conservation matérielle de ces collections en ligne ? Et surtout de la question des supports, qui se détériorent, ou que l’on ne peut plus lire faute d’outils adaptés. Cela pose également la question du devenir du métier de magasinier, qui est en perte de vitesse, sauf pour les établissements patrimoniaux avec des fonds importants, comme le nôtre.
Comme les autres membres de l’équipe des magasiniers, Frédéric travaille sur tous les types de documents conservés à la Médiathèque. L’ensemble des fonds représente des dizaines de milliers de documents à entretenir et à conditionner.
L’entretien et la sécurité des collections fait également partie de tes attributions ?
Oui. Le travail d’entretien consiste notamment à dépoussiérer et maintenir en bon état les collections anciennes. Actuellement, nous intervenons par exemple dans la Réserve précieuse sur le fonds de la Bibliothèque bleue, et sur les manuscrits.
Mais je suis également chargé de veiller aux conditions climatiques de chaque magasin, et pour cela au bon fonctionnement des thermo hygromètres qui régulent la température aux environs de 18°C, le taux d’humidité à 50%.
Enfin, je prends part à la surveillance du bâtiment : fuite et infiltration d’eau, défaut de soufflage de la climatisation, fermeture et étanchéité des portes, fonctionnement des détecteurs de fumée et du désenfumage… toute défectuosité qui pourrait être préjudiciable à la conservation des documents. Tout est géré de façon automatique par un logiciel, piloté par les services techniques de la collectivité, à qui je communique les relevés hebdomadaires de températures. Je travaille également en lien avec le service sécurité de la Médiathèque, et parfois avec des intervenants extérieurs, comme pour le calibrage de la climatisation.
Quel a été ton parcours ?
J’ai un parcours assez atypique puisque je viens du privé. J’ai travaillé dans la grande distribution, en boulangerie, dans le textile, les loisirs, les jouets… j’ai touché à beaucoup de choses ! Je suis ensuite entré à la Bibliothèque municipale par la petite porte, sur un poste à mi-temps à la discothèque. L’arrivée de Thierry Delcourt à la direction en 1996 a tout changé. Il m’a proposé un poste vacant depuis un certain temps dans les magasins, avec pour mission un travail rétrospectif de rangement et d’organisation des collections : plus de 600 cartons jamais inventoriés, qu’il a fallu déballer, répertorier, nettoyer… Je me revois en train de dépoussiérer le Bulletin des lois avec un petit aspirateur, offert à l’époque par l’association des Amis de la bibliothèque ! C’était une époque de transition.
Thierry Delcourt a commencé à ouvrir les collections patrimoniales au public (avec notamment l’exposition Splendeurs de la cour de Champagne, qui se tenait pour la première fois dans la Grande salle), et à faire connaître leur contenu au grand public. Et le travail était très différent, l’essentiel des collections empruntables étant rangé en magasin faute de place, le recours aux magasiniers était permanent.
Selon toi, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer ce métier ?
Il faut de la patience, de la rigueur. Aimer les livres et les documents anciens, bien-sûr, et de façon générale avoir une grande curiosité ; même s’il est parfois difficile de ne pas la satisfaire entièrement car on ne peut pas lire tous les documents que l’on voit passer… Et enfin, il ne faut pas avoir le vertige ! (voir encadré)
Quels souvenirs particuliers gardes-tu de ces années ?
Mes meilleurs souvenirs datent de ces années de découverte des « trésors empoussiérés », dans les années 90. Ce qui me touche particulièrement dans ce métier, ce sont les vies qui se cachent derrière chaque livre. Tous ces gens qui les ont lus, se sont formés et ont vécu avec eux. Au-delà du caractère parfois précieux, je suis émerveillé par le livre en tant qu’objet de la vie courante, fasciné par l’histoire qui tourne autour de lui. La grande histoire comme la petite.
Un des grands moments de ma carrière a par exemple été le conditionnement des numéros du magazine Sciences et Vie, sur une période de 50 ans ; avec une plongée passionnante dans ce qui animait la société au fil des époques, comme le tout-nucléaire, alors vu comme un progrès pour l’humanité. Ou encore le travail sur la collection d’affichettes et de programmes de théâtre, et les anecdotes amusantes sur la vie locale de la fin du 19e, comme cette mention « spectacle annulé pour cause de neige »…
Il y a bien-sûr la période du déménagement, en 2002, où il a fallu tout emballer, tout quitter, avec un petit brin de nostalgie… Et l’incendie en 2009, avec la peur rétrospective de tout perdre. Au final, cela reste une belle aventure, car grâce à la conception moderne du bâtiment, les collections n’ont pas trop souffert…
- Le saviez-vous ?
Aux côtés de Frédéric, Luis et Catherine prennent soin au quotidien des ouvrages conservés sur les 11 km de rayonnages que comptent les 8 magasins de la Médiathèque, et œuvrent sans relâche pour vous les communiquer.
- Un magasinier, ça grimpe énormément !
Parmi ces magasins, il en est un qui force l’admiration par son histoire et ses dimensions impressionnantes : la Grande salle, qui abrite une collection de 48 500 imprimés datant du 16e au 18e siècle, issus des confiscations révolutionnaires. D’une longueur de 50 mètres, d’une largeur de 9,50 mètres, et surtout haute de 6,80 mètres, elle impose l’utilisation d’un matériel spécifique quand l’un des ouvrages qu’elle abrite sur ses 17 hauteurs de rayonnages est demandé !
- Insolite…
Chaque collection conservée en magasin possède son propre système de cotation. Au total, près de 70 types de cotations différentes se côtoient dans les magasins de la Médiathèque…
- A la Prévert…
Beaucoup de livres dans les magasins, mais pas seulement ! On peut aussi y trouver : des manuscrits, des archives, des journaux et des magazines ; des affiches, des gravures, des photos, des diapositives, des microfilms, des daguerréotypes, des cartes et des plans ; des CD, des DVD, et quelques VHS… et aussi des objets plus inattendus : médailles, bois gravés, cuivres de taille-douce, encriers ou tableaux…
Très intéressant cet article ! et c’est de plus sympathique que de rendre hommage à « ces travailleurs » de l’ombre qui méritent toute notre considération et nos remerciements !