L’art de l’enluminure

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Introduction

La réputation des manuscrits médiévaux vient surtout de leur illustration. Cet art atteint son apogée du XIIe au XVe siècles. L’enluminure, du latin illluminare qui signifie rendre lumineux, est une lettre dont le fond est rehaussé d’une couche d’or. Un vocabulaire plus précis permet de définir les différentes illustrations.

  • Les lettrines, lettres majuscules peintes d’une seule couleur, servent à se repérer dans les paragraphes d’un texte dont les éléments de ponctuation, les retours à la ligne sont rares.
  • La lettre ornée est une majuscule servant de cadre et/ou de support à un décor d’entrelacs de plantes, d’animaux et de personnages souvent fabuleux.
  • La lettre historiée est une majuscule servant de cadre à une scène narrative expliquant le texte.
  • Une miniature est un tableau représentant une scène narrative expliquant le texte.

Les traités de recettes

Dès l’antiquité, des documents attestent l’existence d’une transmission écrite concernant la peinture. Les plus célèbres sont L’histoire naturelle de Pline ou encore Papyrus de Leyde au début du IVe siècle. Tout au long du Moyen Age, des auteurs complètent ce savoir. Les deux grands formulaires de l’époque romane sont les traités d’Héraclius et la Schedula de Théophile. À la fin du XIVe siècle, Le livre de l’art de Cennino Cennini donne des recettes qui seront appliquées par les enlumineurs et les peintres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance.

Les étapes de réalisation de la couleur

1. Le dessin du motif est transféré sur le support à l’aide d’un poncif, feuille de papier à dessin piqué qu’on applique sur une surface en y passant un ponce pour reproduire le contour du dessin. L’enlumineur dispose d’un « répertoire de formes qu’il a en mémoire, mais aussi de modèles, provenant de carnets de modèles dont nous avons gardé peu d’exemples, mais dont les recherches actuelles démontrent l’usage fréquent ». Aujourd’hui, le transfert est plus facile grâce au papier calque.

  1. Le contour est repassé à l’encre de Chine à l’aide d’un pinceau ou d’une plume.
  2. La pose de l’enduit, puis de la feuille d’or ou d’argent, précèdent toujours l’application des couleurs. Dans nos ateliers, nous utilisons des pigments de poudre métallique.
  3. Après les différentes applications de pâtes colorées, allant des tons clairs aux foncés, l’enlumineur repasse les contours du dessin à l’encre pour éliminer les débordements, et parfaire le travail. Sur le parchemin, il est nécessaire d’appliquer une légère couche de colle de poisson puis de blanc, avant de poser les couleurs.
  4. La touche finale : les rehauts de blanc.

Les broyages

Il est nécessaire de broyer les pigments ou poudres colorées à un liant pour obtenir une pâte, base de la peinture. Pour cela, certaines conditions doivent être respectées. Il faut veiller aux bonnes quantités et proportions de pigment et de liant, s’assurer de leur parfaite compatibilité. Traditionnellement, le broyage s’effectue en deux fois. D’abord, le pigment est dilué dans un peu d’eau. On peut alors le broyer, puis on laisse sécher. On rajoute ensuite le liant approprié à la nature du pigment et à la technique choisie. On broie avec précaution pour obtenir un mélange bien homogène. La pâte colorée obtenue se conserve sans problème sur les plaques ou dans des godets. On rajoute seulement un peu d’eau au moment de s’en servir.

Les liants

Le mélange des liants aux poudres colorées permet d’obtenir une pâte colorée. Ces liants assurent l’adhérence de la peinture, sa consistance, sa facilité d’emploi. Récapitulons les principaux produits utilisés par les enlumineurs.

  • Les gommes végétales : la gomme est une substance visqueuse accumulée sous l’écorce qui finit par suinter à la surface de l’écorce, se dessèche et forme de petites boules.
  • La gomme d’acacia est appelée gomme arabique. Elle provient de nombreuses espèces d’acacia, poussant en Afrique, plus particulièrement au Soudan et au Sénégal. La propriété la plus intéressante de la gomme arabique est d’être soluble dans l’eau.
  • Les œufs, soit le jaune, soit le blanc, soit les deux à la fois : l’œuf donne une surface assez épaisse et satinée.
  • Les colles animales : colle de peau de lapin, colle de poisson à base de vessies ou de têtes, colle de rognures de parchemin.

Les pigments

Les substances colorantes (vert, rouge, bleu, etc.) sont extraites de la nature et peuvent également être obtenues artificiellement. Elles ont une origine minérale (terres, malachite, azurite, cinabre…), animale (pourpre, fiel, cochenille…), ou encore végétale (safran, curcuma, pastel, baies de fruits, gaude, champignons, lichens…).

Toutes les opérations d’obtention des couleurs à partir de roches, de plantes, ou de produits d’origine animale, nécessitent un matériel plus ou moins élaboré : cornes, mortiers, pilons ou pierres à broyer, fourneaux, alambics, fûts, grattoirs, filtres, coquillages, flacons, éprouvettes, vases en terre, en pierre… De plus, les techniques de la peinture utilisées font appel à des outils et des produits particuliers : pinceaux, plumes de bécasse, cendres, charbons de bois, dents de loup, éponges de mer, œufs…

Les verts

Les terres et roches qui contiennent une grande proportion d’argile verte sont broyées, lavées puis séchées. Simplement mêlé à de l’eau, à la gomme arabique ou à la caséine sur le papier pur chiffon, le vert est mat.

Recette à l’œuf : cette recette peut s’appliquer à tous les pigments, sauf les blancs. « Récupérer le jaune d’un œuf et le diluer avec une cuillère à soupe d’eau. Rajouter un peu de jus de citron pour tuer les bactéries. Mélanger le tout avec trois cuillérées à soupe de terre verte. » (1 : Couleurs : pigments et teintures dans les mains des peuples, Anne Varichon, Seuil, 2001. Médiathèque de Troyes, Art 752 VARI.)

La malachite : « La pierre est pulvérisée en poudre plus ou moins grossière. Pour une cuillère à café de pigment, quelques gouttes de gomme arabique suffisent. Après avoir mélangé, rajouter quelques gouttes de miel liquide. Mélanger pour obtenir une pâte bien homogène. » (1)

Pour l’aquarelle, il faut pulvériser finement le pigment.

Le lis bleu (lilium azurinum) ou iris donne une couleur très fugace : « Infuser les fleurs de cette plante et recueillir sur des linges fins. Sécher et conserver entre des buvards dans un livre. Broyer ensuite au mortier. Combiné avec la gaude, le vert d’iris devient brillant. » (1)

Le vert-de-gris s’obtient par oxydation du cuivre. Les recettes pour sa préparation sont innombrables. « Pendre des plaques de cuivre au-dessus de vinaigre dans un récipient fermé. La réaction chimique provoque la formation d’un dépôt vert. Cette poussière verte est recueillie, séchée et conditionnée dans de petits sacs de peau avant d’être commercialisée. Le vert-de-gris peut être dissous dans du vinaigre. La solution filtrée et mise à cristalliser donne le verdet, d’une teinte intense et foncée. » (1)

Le vert-de-gris peut s’altérer, détériorer les couleurs voisines, parfois même détruire le parchemin. Il doit donc être tempéré par une addition de résine de pin et de bitume.

Les bleus

Le lapis-lazuli : On broie la pierre une fois extraite et purifiée. Le prix de ce pigment est très élevé : 86 euros pour un pot de 10 grammes. Les bleus obtenus à partir de ce minéral diffèrent selon le broyage effectué. La magnificence de ces bleus est remarquée lorsque le pigment a une granulométrie plutôt élevée. Il peut se mélanger à tous les liants.

L’azurite : les mêmes précautions sont à prendre avec cette belle pierre aux bleus profonds.

La chrysocolle est un minéral d’un joli bleu turquoise. Il est facile de la broyer car c’est une pierre tendre.

L’indigo regroupe plus de 300 espèces de plantes. Les feuilles contiennent la substance colorante. L’extraction de l’indican par fermentation est longue et compliquée. L’indigo était conservé sous forme de pains ou poudre compactée.

Ce sont les feuilles de pastel qui produisent un bleu indigo. Diverses méthodes sont utilisées. Dans la cuve des teinturiers, une écume bleue se formait à la surface du liquide. Elle était très recherchée par les peintres anciens. Il faut une tonne de pastel pour produire deux kilos de pigment bleu.

Il est possible de trouver un beau bleu de pastel qui coûte 34 euros le pot de 50 grammes.

Les rouges

L’ocre rouge est obtenue en calcinant l’ocre jaune à la 400° pendant 36h. Chez soi, on peut fabriquer des ocres plus ou moins roses en chauffant l’ocre jaune à sec dans un récipient.

Le vermillon est une couleur obtenue artificiellement depuis l’Antiquité. Pour l’utiliser, on broyait longuement avant de le lier.

On chauffait ensemble mercure et soufre. Au refroidissement, on recueillait une masse dure qui est le pigment précipité. Sa couleur était rouge foncé.

Le minium : il est obtenu en chauffant de la céruse remuée avec une barre de fer.

Le folium ou violet rouge de tournesol : Les fruits, les feuilles et les tiges du tournesol sont mises à macérer de façon à obtenir un extrait tinctorial servant alors à préparer un rouge tirant sur le violet.

La garance : la racine de cette plante est récoltée au bout de 3 ans, puis moulue dans des moulins à garance. Cette poudre est utilisée pour fabriquer une laque, d’une belle couleur carminée. A la fin du XIXe, elle a été remplacée par l’alizarine, pigment de synthèse.

Les jaunes

La gaude ou réséda : c’est aujourd’hui une plante protégée dont la cueillette est interdite en France. Elle peut être cultivée pour l’obtention de pigments jaunes à partir de la totalité de la plante.

La laque de la gaude se produit lorsqu’on ajoute un mélange de craie et d’alun à la décoction de la plante. Le pigment se précipite au fond du récipient. La masse dure obtenue est réduite en poudre.

Le curcuma : surtout cultivé pour son épice. La racine de cette plante originaire d’Asie est réduite en poudre. Son jaune est éclatant, mais hélas trop fugace.

L’ocre jaune : les ocres et les terres sont des argiles colorées par des oxydes de fer. Le terme « ocre » est réservé aux argiles colorant en jaune et en rouge.

Le pigment est d’abord isolé car l’ocre est mêlé à du sable dans les gisements (20% d’ocre pour 80% de sable). L’argile est délayée dans l’eau qui s’écoule dans des rigoles en pente. Le sable, plus lourd, se dépose au fond du bassin. L’eau chargée d’ocre s’évapore lentement dans des bassins de décantation. L’ocre est récupéré et mis à sécher au vent et au soleil, puis broyé dans des moulins.

Les ocres possèdent un grand pouvoir colorant, une excellente résistance à la lumière. Ils ont en outre l’avantage de n’être pas toxiques, et l’abondance de la matière première les rend peu coûteux.

L’orpiment : le trisulfure d’arsenic permet d’obtenir des jaunes très lumineux s’il est faiblement broyé.

De par sa composition, son emploi est très délicat. On sait que le soufre ronge des pigments rouges ou verts, et noircit le blanc de plomb. Sa manipulation requiert beaucoup de prudence à cause de l’arsenic qu’il contient. Mélangé au safran et au fiel de bœuf, l’orpiment remplace la feuille d’or.

Les blancs

Le plus connu de blancs naturels extraits de gisement de roches calcaires est la craie. Il existe quantité de craies. Celle de Champagne est calcaire et friable. On utilise surtout le blanc de Meudon, ou le blanc d’Espagne.

Le pigment réduit en poudre est utilisé cru. La craie cuite donne le plâtre ou la chaux.

Le blanc de craie permet surtout de nuancer les pigments. On s’en sert pour les reports des esquisses à l’aide de ficelles qui permettent de tracer des points de repères en vue du dessin final.

Le blanc de plomb : le blanc de céruse est l’un des plus anciens pigments blancs.

Un corps blanc se dépose sur des plaquettes de plomb, exposées à l’action du vinaigre et du fumier animal. On le récupère délicatement avec précaution, puisque le blanc de plomb ainsi obtenu est très toxique. C’est pourquoi il est interdit aujourd’hui dans la fabrication des peintures industrielles. On l’utilisait avec succès dans les enluminures parce qu’il permettait de poser les rehauts en une seule fois, et avec une parfaite finesse.

Le blanc de coquilles d’œuf : « Récupérer des coquilles d’œufs durs et enlever la pellicule intérieure. Bien laisser sécher et pulvériser dans un mortier. Ne pas atteindre le stade de la poudre. L’intérêt de ce blanc de coquilles est en effet de former une légère mosaïque de petites surfaces blanches. Encoller suffisamment le support avant d’y déposer le blanc de coquilles. Mettre un poids pour parfaire l’adhésion en isolant à l’aide d’un buvard ou d’une feuille. » (1).

Les noirs

Les noirs de charbon végétal : issu de la calcination de végétaux en vase clos, le pigment varie selon le produit brûlé.

Le noir de vigne est le plus connu. On l’obtient à partir de la calcination de sarments de vigne récoltés à l’époque de la taille. Ses tons approchent des bleus profonds et délicats.

 Les noirs de fumée sont obtenus à partir de combustions d’essences végétales résineuses. Ce sont les premiers noirs utilisés en chine dans la fabrication de l’encre.

Les noirs de noyaux de pêche, de cerises, d’amandes ou d’abricots sont également utilisés pour obtenir des noirs aux tonalités très belles.

Le noir de vin provient de la combustion du marc.

Le charbon doit être assez longtemps broyé dans un mortier en pierre, puis à la molette sur une pierre de marbre. Plus les grains seront fins, plus les tons seront délicats. Les noirs sont denses si on les lie avec la gomme arabique et le jaune d’œuf.

Recette : « Mélangez noir de fumée, noir de charbon, et gomme arabique avec de l’eau. La pâte obtenue est laissée sécher dans des godets. On peut y ajouter quelques gouttes d’huiles essentielles aux principes antifongiques. » (1).

 

L'or

La fraîcheur, la vivacité et l’harmonie des couleurs des enluminures qui ornent les pages des manuscrits sont le plus souvent embellies et éclairées par l’éclat de l’or. L’enlumineur appliquait toujours les feuilles d’or, ou l’or en poudre, avant de peindre sa lettre.

L’or a la propriété de pouvoir être battu jusqu’à prendre la forme d’une feuille très mince. Traditionnellement, l’or en feuille est posé sur un apprêt bien spécifique appelé « gesso ». Sur cet enduit à base de colle de poisson, la feuille d’or apparaît en relief. Elle est toujours découpée pour suivre les contours voulus. Le moindre souffle est alors fatal à la bonne marche de cette opération.

Une autre technique ne donne aucun relief. Ainsi, la dorure à plat qui fait appel à d’autres produits, comme la gomme ammoniaque.

Les chutes d’or sont réutilisées et agglomérées à de la gomme arabique pour former de petits blocs, conservés traditionnellement dans des coquilles de moules. Mélangé à l’eau, cet or est appliqué au pinceau pour la peinture de détails dans les marges.

Dans les ateliers d’initiation, nous utilisons une poudre d’alliage métallique.

Orientations bibliographiques :

Ouvrages pratiques :
  • Guide pratique des lettres enluminées, Patricia Seligman, 1996. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 SELI).
  • Enluminure et calligraphie, Patricia Carter, 1990. (Médiathèque des Chartreux et des Marots, 745.6 CART).
  • L’ABCdaire de la calligraphie, Claude Médiavilla, 2000. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.61 MEDI).
Ouvrages théoriques :
  • L’enluminure médiévale, Otto Pächt, 1997. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 PACH).
  • L’enluminure à l’époque gothique, 1200-1420. François Avril, 1995. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 AVRI).
  • Les manuscrits à peintures en France, 1440-1520. F. Avril et N. Reynaud, 1993. (Médiathèque de Troyes, 745.67 AVRI).
  • L’art des manuscrits médiévaux, Krystina Weinstein, 1998. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 WEIN).
  • L’enluminure et le scriptorium de Cîteaux au XIIème siècle, Yolanta Zaluska, 1990. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 ZALU).
  • L’âge d’or du manuscrit à peintures en France au temps de Charles VI, Albert Châtelet, 2000. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 745.67 CHAT).
  • Brève histoire du parchemin et de l’enluminure, Sylvie Fournier, 1995. (Médiathèque de Troyes, Histoire des médias, 091 FOUR).
  • Les matériaux de la couleur, F. Delamare, 1999. (Médiathèque de Troyes, 667.2 DELA).
  • Couleurs : pigments et teintures dans les mains des peuples, Anne Varichons, 2001. (Médiathèque de Troyes, Art 752 VARI).