La médiathèque Jacques-Chirac conserve la bibliothèque mais aussi les papiers personnels de Georges Hérelle, en particulier ses « petits mémoires littéraires », suite éparse de souvenirs d’enfance ou de jeunesse. Parmi ces papiers, le récit de ses aventures à la bibliothèque de Vitry-le-François.
Professeur de philosophie dans le lycée de cette même ville, Georges Hérelle est rapidement amené à intégrer le comité d’administration de la bibliothèque. Lors d’une visite du bâtiment, quelque chose d’insolite attire son attention :
« Mais je dont je me souviens très bien, c’est que, dès mes premières visites, je remarquai, sous un petit escalier de fer, à même sur le plancher, un entassement d’objets étranges dont je ne reconnus tout d’abord pas la nature. J’en pris un ; j’ouvris les ais de bois qui le faisaient ressembler à une vieille petite caisse et je vis que c’était un beau manuscrit sur vélin, d’une parfaite conservation. Tout le tas était formé de manuscrits sur vélin ou sur parchemin, provenant des abbayes de Trois-Fontaines, de Cheminon, d’Huiron, etc. Je touchais, je maniais avec respect ces volumes armés d’épaisses reliures et qui grâce à la cuirasse des peaux de veau, de truie ou de cerf, grâce à la fermeture de lourdes agrafes de cuivre, grâce à la défense de gros clous aux têtes saillantes, avaient été protégés pendant des siècles contre les injures du temps.
Georges Hérelle, Petits mémoires littéraires, ms 3170
Séduit par cette fabuleuse découverte, Hérelle décide de se lancer dans le catalogage de ce fonds de manuscrits que délaisse le bibliothécaire, un homme qu’il décrit comme négligent et haïssant ses éventuels lecteurs. Sa rencontre avec Henri Bouchot, missionné pour inventorier les Archives Municipales (il prendra d’ailleurs comme sujet de thèse à l’école des Chartes les documents du baillage et de de la prévôté de Vitry conservés dans ces même archives), est déterminante : une émulation certaine se crée entre les deux jeunes hommes, qui se mettent à cataloguer ensemble leurs fonds respectifs. Voici le portrait que Georges Hérelle dresse de son camarade :
Un grand garçon très liant, très communicatif, acharné travailleur lorsqu’il lui plaisait de travailler, terrible noceur quand il lui plaisait de faire la noce. Pendant les deux ou trois premiers mois de son séjour, il se mettait au travail dès sept heures du matin, inventoriait jusqu’à midi, recommençait à inventorier vers deux heures, cessait vers sept heures pour aller dîner ; et après une pareille journée, il emportait encore dans sa chambre quelques grosses liasses de documents qu’il dépouillait de dix heures du soir à minuit. Mais ensuite, je ne sais plus à quel propos, il eut des difficultés avec le maire, ce qui amena un brusque changement […] : Bouchot n’alla plus travailler qu’une heure ou deux dans la matinée, deux ou trois heures l’après_midi, et nous fîmes au café Coulmy, près des Halles, d’interminables séances qui se prolongeaient souvent jusqu’à une heure du matin.
Georges Hérelle, Petits mémoires littéraires, ms 3170
Le séjour d’Hérelle à Vitry-le-François est adouci par ces heures « délectables » passées à apprendre la paléographie et à travailler sur le dépôt de manuscrits de la bibliothèque. Il en tire deux notices consacrées à l’histoire de la ville, saluées entre autres par Léopold Delisle, administrateur de la Bibliothèque Nationale. Hérelle songe alors à se faire bibliothécaire… Mais Delisle l’en dissuade aussitôt : sans diplôme d’archiviste-paléographe, il ne réussira pas à gravir les échelons !
Si Hérelle doit abandonner ses ambitions de carrière dans le monde des bibliothèques, cette expérience lui donne de solides bases en recherche historique, qu’il développera ensuite dans ses études sur le folklore basque.
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