Lorsque l’on ouvre le manuscrit 552 de la médiathèque Jacques-Chirac, c’est tout d’abord la richesse de ses couleurs qui interpelle, en particulier ses bleus incroyablement travaillés et nuancés. Mais l’intérêt de ce document ne s’arrête pas au plaisir des yeux…
Le manuscrit est ce que l’on appelle un recueil factice : deux livres d’époques et d’origines différentes conservées ensemble. La première date du 9è siècle, et consiste en un commentaire de saint Jérôme sur le livre de Job. La seconde partie est celle qui nous intéresse aujourd’hui : un recueil des oeuvres de Cicéron. Une vingtaine de textes y sont rassemblés, y compris les plus célèbres : De l’amitié, De la république, les Catilinaires... Une biographie de l’auteur vient compléter l’ensemble. Quelques petites erreurs subsistent cependant dans la composition du recueil : ainsi, l’un des textes est faussement intitulé Ad Hortensium, faisant croire qu’il s’agit de l’Hortensius, un texte aujourd’hui perdu… alors que le texte recopié fait partie des Académiques. De même, le traité Du destin (De fato) est répété deux fois.
Copié à Mantoue dans les années 1330-1340, le manuscrit ferait partie d’un ensemble original de quatre volumes rassemblant des textes d’auteurs antiques, dont les autres exemplaires sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France et à la bibliothèque Vaticane. On lui attribue comme premiers possesseurs les Malvezzi, ducs de Mantoue, mais c’est sa présence dans la collection des frères Pithou qui a permis sa présence dans les collections de la médiathèque aujourd’hui. Cependant, dans la liste de ses possesseurs, c’est bien la présence de François Pétrarque qui attire l’attention.
Né en 1304 et mort en 1374, Pétrarque fait des études de droit avant d’entrer dans la carrière ecclésiastique (sans parvenir toutefois jusqu’à la prêtrise). Il est surtout connu pour ses Sonnets en langue italienne, mais c’est également un passionné d’Antiquité latine qui nourrit depuis sa jeunesse un très grand intérêt pour les œuvres de Cicéron. Le manuscrit, soigneusement annoté par son propriétaire dans les marges, en est témoin. Les commentaires sont particulièrement nombreux sur la partie médiane du recueil, car les textes présents au début et à la fin de l’ouvrage figurent déjà dans la bibliothèque de Pétrarque.
Si la plupart des notes sont des commentaires sur le contenu de l’oeuvre, Pétrarque institue également un véritable « dialogue » avec le texte. Il se fait des remarques à lui-même : « Lis », « Apprends par coeur », ou à l’auteur « Bien dit », « Magnifique… Il n’est cependant pas tendre avec l’auteur de la biographie de Cicéron complétant le recueil : alors que celui-ci présente Atticus comme un ami de Cicéron, Pétrarque réplique : « Et fratre erat, o indocte ! » (« C’était son frère, espèce d’ignorant ! »).
Les illustrations du manuscrit sont particulièrement remarquables. Un grand soin a été accordé aux lettrines filigranées à l’encre bleue et rouge, qui forment des ornements complexes. Le décor est très riche. Loin de se limiter à des motifs abstraits, il convoque également des personnages humains, parfois accompagnés de leurs animaux familiers.
Les lettrines placées en tête de chapitre mettent en scène des docteurs en droit – reconnaissables à leurs longs vêtements fourrés d’hermine – occupés à débattre ou à plaider. Pas étonnant pour les textes d’un auteur qui, au Moyen Age, est considéré avant tout comme un juriste !
Le 10 octobre 2002, ce manuscrit faisait partie de la sélection de 6 ouvrages présentés à Jacques Chirac lors de sa venue à la médiathèque. Restez attentifs à la programmation de la médiathèque : il n’est pas impossible que, pour commémorer cet anniversaire, le manuscrit 552 refasse apparition dans les espaces…
Article comme toujours très intéressant. Bravo pour les commentaires et les précisions données ainsi que pour le choix des splendides illustrations !
SUBLIME ET PASSIONNANT!
MERCI
danièle m.n