Peau de bête et yeux de feu – le voirloup, légende du pays d’Othe

Accueil = Fonds local = Peau de bête et yeux de feu – le voirloup, légende du pays d’Othe

Par Emeline Pipelier | Le 11 mars 2022 | Fonds local

« Les voirloups sont à la forêt d’Othe […] ce que les korrigans, enfantés par les mégalithes, sont à la Bretagne ». C’est ainsi que Gabriel Groley, journaliste et conteur aubois, rattache à son territoire la légende des voirloups, des humains malfaisants capables de se changer en bête pour accomplir leurs sinistres forfaits.

Si Pierre-Jean Grosley, dans ses Ephémérides, définit le voirloup comme un loup-garou, la réalité (enfin, s’il est permis de parler de réalité pour une créature fantastique) est un peu différente, puisque les voirloups conservent leur entendement humain sous leur apparence de bête. Contrairement à ce que leur nom laisse supposer, ils peuvent adopter des formes animales diverses : loup ou chien, bien entendu, mais aussi cochon, bouc, sanglier, renard ou chouette… Sans compter les chats, les plus courants. Gabriel Groley, dans sa Mystérieuse forêt d’Othe (1975),  nous livre, en introduction à plusieurs contes consacrés à la créature, le récit quasi-journalistique (mais bien évidemment romancé) d’une enquête au sujet de ces êtres terribles. Après avoir interrogé de nombreuses connaissances qui refusent d’évoquer le sujet devant lui, l’enquêteur reçoit enfin les révélations d’Aspasie, la vieille gardeuse d’oies, sur le mode opératoire des voirloups.

 

Le Chasseur de Voirloups (Ronnie G. Martin, Alain Richard, 1986)

Ces derniers doivent se distinguer auprès du Diable en étant capable de commettre les sept péchés capitaux. Le Malin leur donne, contre leur allégeance (concrétisée par la signature d’un pacte) ensuite le pouvoir de se changer en animal. Pour cela, le voirloup doit s’enduire de l’amalgame, un onguent contenant, entre autres, de la semence humaine et de la graisse de porc rance, et qui leur permet de revêtir le pelage de l’animal désiré. De minuit jusqu’aux premières heures du jour, il arpente la campagne pour y répandre le malheur : il attaque les troupeaux, agresse les humains, allume des incendies ou détruit les cultures. Silencieux, capable de voir dans le noir et insensible à la douleur, il serait absolument terrifiant s’il ne lui était pas interdit de tuer ses victimes humaines – les nouveaux-nés faisant toutefois exception, puisque les voirloups-chats les étouffent dans leur sommeil. Ce n’est toutefois pas un sorcier, et il est probable qu’il n’assiste au sabbat qu’en simple figurant…

 

La sarabande des voirloups. Illustration de Monique Bigle pour la Mystérieuse forêt d’Othe de Gabriel Groley

 

Pour sa chronique du voirloup, Groley aurait pris appui sur les récits de sa grand-mère, Exavérine Lucas, née en 1850, ainsi que sur les rares sources écrites disponibles. Il cite ainsi des récits reportés dans l’almanach du Petit Troyen en 1909, ainsi que le premier « témoignage » écrit de rencontre avec un voirloup. Ce dernier est publié en 1848 dans l’Almanach de Troyes, et nous est conté par la plume d’Amédée Aufauvre et Jean-François Gadan. Dans une « chronique du coin du feu » légèrement moqueuse, les auteurs évoquent des phénomènes surnaturels qu’ils attribuent « à la naïve crédulité de nos bons aïeux ». Voici leur récit :

En 1761, trois amis revenant, vers une heure du matin, de souper à Saint-Martin-ès-Vignes, aperçurent près de la chapelle Sainte-Jule un grand feu qui ne touchait pas à terre et autour duquel plusieurs personnes dansaient une ronde. Cela leur paraissant extraordinaire, ils approchèrent, et l’un d’eux reconnut son compère parmi les danseurs. On leur offrit un verre de vin qu’ils refusèrent. Rentrés en ville, ils virent, près de la ruelle des Chats, un énorme chat noir dont les yeux flamboyaient comme des étoiles. Le plus rapproché de l’animal ramassa une pierre qu’il lui lança. Le chat s’enfuit dans la ruelle en criant de toutes ses forces : Diable ! diable ! C’est le voirloup ! se dirent en même temps et à voix basse nos trois amis ; et chacun d’eux, plus mort que vif, regagna son domicile au plus vite.

Le matin, au petit jour, un apprenti serrurier venait dire au jeteur de pierre que son maître désirait lui parler de suite. Il s’empressa de se rendre à l’invitation et trouva son compère (car c’était lui !) couché et en proie à de vives douleurs. Voyez, compère ! lui dit le visité en soulevant avec peine son bras gauche – voyez comment vous m’avez arrangé cette nuit. C’est moi qui étais le gros chat noir, et votre pierre m’a démis l’épaule. Vous avez eu du bonheur que je vous connaissais […]… Je vous demande le secret ; gardez-le bien, si vous ne voulez pas qu’il vous arrive mal.

Ce voirloup n’était pas si méchant […], car sous sa peau de chat, il avait pratiqué l’oubli des injures de manière à servir d’exemple à beaucoup de gens qui n’ont pas fait de pacte avec le diable.

Le voirloup de Maraye-en-Othe (photo Office de Tourisme Othe-Armance)

Le voirloup tirerait son nom singulier du bois de Vire-loup, près de Maraye-en-Othe. Mais quelles sont les origines du mythe ? Claude Lecouteux, spécialiste entre autres de la mythologique germanique, voit dans le voirloup plus qu’un cousin du loup-garou : il serait le témoin de la survivance de très anciens mythes apportés là par les Francs, les Goths ou les Alamans. Il compare d’ailleurs les voirloups aux revenants malfaisants des légendes médiévales, ou aux lutins attendant la nuit pour commettre leurs méfaits.

Risquez-vous donc de croiser un voirloup lors de votre prochaine promenade en forêt d’Othe ? Rien n’est moins sûr… Il semble en effet qu’ils aient tous disparu depuis les années 1950. Mais vous pourrez toujours arpenter le circuit des voirloups, au départ de Maraye-en-Othe… Ou faire notre test ci-dessous !

BIBLIOGRAPHIE :

Gabriel GROLEY, Mystérieuse forêt d’Othe, 1976

Marie-Françoise BONICEL, « En pays d’Othe, les voirloups : peurs irrationnelles et projections fantasmatiques », in Charles GARDOU, Le handicap dans notre imaginaire culturel, 2015

Claude LECOUTEUX, « Les voirloups de la forêt d’Othe », Bulletin du comité du folklore champenois, n° 148, 1987

Claude LECOUTEUX, Elle courait le garou, lycanthropes, homme-ours, hommes-tigres, anthologie, 2010

Articles similaires

Souvenirs de Nogent en 1917

Souvenirs de Nogent en 1917

Pour terminer sur une note sereine notre série associée à la commémoration de l’armistice de 1918, l’équipe du blog vous présente quelques dessins contenus dans un recueil acquis dernièrement par la Médiathèque.   Le carnet de format oblong (13 X 20 cm)...

Lire la suite

4 Commentaires

  1. mendak noble danièle

    je suis une voirlouve fréquentable! 🙂
    cordialement

    Réponse
  2. Christian

    Des légendes aussi sombres que passionnantes qui communiquent un doux frisson d’angoisse

    Réponse
  3. Chantal BARTOLI

    J’avais en ma possession la légende du Voirloup, malheureusement je l’ai prêtée à une personne qui ne me l’a pas rendue et comme je lui faisait confiance, je ne sais plus à qui. Je suis donc à la recherche de ce texte d’origine, où il est question d’un curé, de son enfant de chœur qui rentrant de la messe ont fait la rencontre de cet animal fantastique, et n’ont dû leur salut qu’à la fiole d’eau bénite qu’ils transportaient. C’était tellement bien narré que je lisait à haute voix ce texte dans la forêt d’Othe pour des enfants (et des adultes évidemment), et je serais ravie de le retrouver.

    Réponse
    • Emeline Pipelier

      Bonjour, je vous ai répondu par mail au sujet de l’ouvrage que vous recherchez 🙂

      Cordialement,

      Emeline Pipelier

      Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.