Le Grand et le Petit Albert

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Par Caroline Maire | Le 31 octobre 2025 | Imprimés | Livrets de colportage

Certains livres à la réputation sulfureuse ont marqué de leur empreinte des générations de lecteurs et continuent de faire frémir à leur évocation. Parmi eux, un grimoire de magie populaire qui a longtemps inspiré la curiosité et la peur.

La première édition connue du Grand Albert remonte à 1493. Publié sous le titre Livre des secrets d’Albert le Grand sur les vertus des herbes, des pierres et de certains animaux, il est attribué à un personnage qui vécut plusieurs siècles auparavant.

Albert le Grand était un frère dominicain, né en Allemagne aux alentours de 1200. Grande figure de la philosophie et de la science médiévale, il était aussi un professeur de renom et eut parmi ses disciples un certain Thomas D’Aquin. Il contribua à la diffusion de la pensée d’Aristote, s’intéressa à la théologie mais aussi aux sciences naturelles et à la chimie. Il rédigea plus de 70 ouvrages parmi lesquels la toute première flore détaillée d’Europe centrale et la première tentative de classification des minéraux. Ces contributions pluridisciplinaires lui valurent, de son vivant, la reconnaissance et le surnom de « Grand ». Mais sa postérité éditoriale est des plus étonnantes…

Car Albert ne se contenta pas de compiler et de commenter les connaissances transmises depuis l’Antiquité. Sa grande curiosité le poussa à l’observation et à l’expérimentation. Ingénieur avant l’heure, il est réputé avoir mis au point un petit automate capable de parler et de résoudre des problèmes. On raconte, entre autres prodiges, qu’il pratiquait la divination et commandait aux saisons…

 

Sagesse ou sorcellerie ? Vérité ou légende ? Si les limites du savoir humain sont aujourd’hui (mieux) établies, il est alors difficile de faire la part des choses à une époque où chimie et alchimie, astrologie et astronomie, sciences naturelles et magie blanche se confondent encore…

Lorsque Le Grand Albert paraît à la fin du 15e siècle, il se trouve ainsi nimbé de l’aura qui entoure son prétendu auteur. Texte apocryphe, seuls le premier et le second livre semblent être des écrits d’Albert : Des secrets des femmes et Le livre de la réunion, mélange de pharmacologie, d’astrologie, de remèdes et recettes en tous genres. Les textes qui suivent seraient des compilations de textes anonymes ou attribués à différents auteurs antiques tels Galien ou Pline l’Ancien.

Dès sa parution, Le Grand Albert connaît un énorme succès, qui justifie des rééditions régulières. A partir de 1668, une version abrégée permet sa diffusion dans les milieux plus modestes : Le Petit Albert ou Livre des merveilleux secrets du Petit Albert. Les contenus et les titres varient d’une époque et d’une édition à l’autre mais tous proposent des recettes et remèdes présentés comme secrets, qui témoignent de peurs et préoccupations universelles : trouver l’amour, attirer la chance, la prospérité, la fertilité ; soigner, se protéger des dangers ou amuser la galerie… Cela grâce à l’influence des planètes, aux vertus des plantes, minéraux ou animaux.

Si leurs contenus semblent aujourd’hui aussi savoureux qu’innocents, les deux titres sont pourtant vendus sous le manteau. Colportés jusque dans les endroits les plus reculés, ils deviennent de véritables best-sellers bien que peu de personnes soient en capacité de les lire ou de mettre en pratique leurs obscures recettes …

En réalité, ce sont les livres eux-même qui fascinent car ils sont considérés comme des objets magiques. De nombreuses légendes circulent, probablement alimentées par les colporteurs pour entretenir les ventes : on raconte que, si Le Grand Albert est un livre de magie blanche, Le Petit Albert renferme de la magie noire… que le Diable en personne vient reprendre son livre, damnant au passage l’âme de son possesseur… que le faire disparaître par soi-même est très dangereux, voire impossible… Ses possesseurs le cachent, essaient de le faire bénir ou de s’en débarrasser. Dans les villages, chacun soupçonne son voisin d’en posséder un exemplaire…

L’Eglise voit d’un très mauvais œil ces ouvrages et les phénomènes qu’ils suscitent. En 1604, elle met à l’Index la partie consacrée aux Secrets des femmes, qui s’intéresse à la gynécologie et à la sexualité féminines.

Elle reconnaît cependant en Albert le Grand celui qui, le premier, a permis la diffusion en Occident des philosophies grecques et arabes. Considéré comme le saint patron des savants, il sera canonisé en 1931.

La médiathèque Jacques-Chirac conserve près de 30 éditions différentes de ces livres, parmi lesquels deux incunables et de nombreux livrets de colportage. Plus de 350 ans plus tard, Les secrets admirables du Grand Albert, et Le Petit Albert sont aujourd’hui encore édités et constituent des titres incontournables de littérature ésotérique.

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