A la bonne heure

Par Caroline Maire | Le 27 octobre 2023 | Imprimés

Le passage à l’heure d’hiver est l’occasion de remettre nos pendules à l’heure, et de revenir sur la passionnante histoire de la mesure du temps.

Toutes les civilisations ont cherché des moyens de mesurer le passage du temps. L’enjeu étant d’harmoniser les activités avec l’horloge de la nature et de tirer le meilleur parti de ses spécificités cycliques, telles la course du soleil ou le passage des saisons.

Première unité de mesure, l’année solaire basée sur la durée d’une rotation de la Terre autour du Soleil, est définie 3000 ans avant notre ère par les astronomes et mathématiciens mésopotamiens. Elle permet de mettre en place les premiers calendriers. Dans l’Egypte antique, les prêtres en charge des récoltes y intègrent les cycles de la lune pour définir les mois.

Plus proches de nous, les almanachs de colportage de la Bibliothèque bleue proposent encore des calendriers de labourages, semis ou récoltes pour jardiner avec la lune

Les premiers instruments de mesure de l’heure – également définie par les mésopotamiens – apparaissent aussi dès l’Antiquité. Les cadrans solaires sont inventés en Grèce au 5e siècle. A partir du Moyen Age, et durant plusieurs siècles, ils permettent à l’Eglise de définir les heures canoniales qui divisent la journée en 8 temps de prières ; dès lors, le son des cloches rythme la vie des villes comme des campagnes.

Sabliers, horloges hydrauliques, servent également à mesurer le temps. Mais aucun de ces outils n’est parfait et impose de nombreuses contraintes : impossibilité de lire l’heure la nuit, entretien fastidieux, etc.

Une invention décisive

Les premières horloges mécaniques sont mises au point en Italie au 13e siècle et se diffusent dans toute l’Europe en seulement quelques décennies.

L’heure ne dépend plus alors des cycles du soleil, mais correspond désormais au douzième d’une journée d’équinoxe, quelle que soit la période de l’année.

Très vite, les innovations technologiques se succèdent : le cadran de 12 heures et les aiguilles marquant les heures apparaissent. L’exactitude des appareils s’améliore et, à partir du 16e siècle, on mesure précisément les minutes et les secondes.

Les conséquences de ces inventions révolutionnaires sur l’organisation sociale et économique sont considérables et donnent lieu à de profondes mutations. Le rapport de l’homme au temps se modifie. L’horloge règne désormais en maître : le réveil-matin apparaît en 1876, et la pointeuse accueille chaque jour les ouvriers à l’usine, affirmant la ponctualité comme un devoir.

Les inventions destinées à « gagner du temps » se multiplient : les grandes lignes de chemin de fer se développent dans les années 1840, la première ligne de métro est inaugurée à Londres en 1863… Le télégraphe et le téléphone permettent désormais la communication en temps réel.

Avec la Révolution industrielle et le développement des échanges commerciaux, l’harmonisation des horaires à l’échelle mondiale devient incontournable. Jusqu’à la fin du 19e siècle, chaque ville détermine sa propre heure en fonction de la position du soleil dans le ciel. Ainsi, lorsqu’il est 12 heures à Paris, il est 11 h 42 à Brest et 12 h 18 à Nice. A partir de 1884, de nombreux pays reconnaissent le méridien de Greenwich comme le premier de tous, et adoptent une norme de temps universel. C’est le cas de la France dès 1911.

Dans le monde du travail, la maîtrise du temps accompagne l’émergence du capitalisme moderne. Car au-delà du simple progrès technique, gagner du temps permet surtout de produire plus et plus vite, pour moins cher… Dans La Direction scientifique des entreprises (1911), Taylor préconise entre autres principes de chronométrer chaque tâche afin d’instaurer un salaire lié au rendement, et d’inciter l’ouvrier à travailler plus vite. La performance et la productivité deviennent les maîtres mots du progrès et de la croissance.

Publicité pour l’automotrice rapide Bugatti. L’Illustration, 1935.

L’accélération des rythmes de vie se généralise, pour le meilleur comme pour le pire. Aujourd’hui les chronomètres départagent les sportifs au centième, voire au dixième de seconde prêt, et les innovations technologiques promettent toujours plus de rapidité dans les transports ou le numérique.

Un modèle aujourd’hui fortement remis en question, sur le plan économique comme humain. La création du mouvement Slow dans les années 80, bat en brèche le culte de la vitesse, qui a désormais contaminé tous les domaines de nos vies ; et les théories du ralentissement et de la décroissance proposent de réinventer des modèles économiques viables pour l’environnement comme pour l’être humain.

En attendant, profitons de ce nouveau passage à l’heure d’hiver, qui nous « offre » une heure supplémentaire, pour « prendre le temps ». 🙂

Pour aller plus loin

L’heure qu’il est : les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne. David S. Landes. Techniques 681 LAND

L’invention du temps. Bernard Melguen. Sciences 529 MELG

Accélération. Une critique sociale du temps. Harmut Rosa. Société 303.4 ROSA

Rendre le monde indisponible. Harmut Rosa. Société 303.4 ROSA

Ralentir ou périr. Timothée Parrique. PNB

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1 Commentaire

  1. martine demessemacker

    Très intéressant cet article pour « remettre à l’heure » mes connaissances qui en avaient bien besoin !
    bien cordialement.

    Réponse

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