Théâtre d’une relation privilégiée entre les lecteurs et leur journal, le courrier est administré par une figure familière qui répond à chacun des membres de sa « famille » : Marraine pour Lisette, Tante Jacqueline puis Tante Mad dans La Semaine de Suzette, Jacques Cœur dans Cœurs Vaillants, ou Bayard lui-même (remplacé ensuite par Chevalier Noir) dans Bayard. L’usage du pseudonyme est en effet en vigueur la plupart du temps, surtout pour les filles qui adoptent des surnoms poétiques. On croise ainsi, chez les correspondantes de Lisette, des Étoile du lac, Pluie de roses, Fleur de Saint-Jean, Mimosa en fleurs, Pinson du bois-joli… mais aussi un Potage à la tomate ou un Diablotin aux yeux noirs.
Jusqu’aux années 50, les courriers en eux-mêmes ne sont pas publiés et seules les réponses des rédacteurs peuvent nous donner une idée de la lettre initiale. Les lecteurs font part à leur journal de leurs questions : astuces ménagères, recettes de cuisine, manière d’assortir une tenue ou conseils d’hygiène… Que les répondants mêlent souvent à des considérations morales. Ainsi, Œillet du Lautaret, qui correspond avec Lisette en 1929, se voit vertement réprimander : « Allons, mignonne, mettez un peu de plomb dans votre cervelle : ne passez pas tout votre temps à la toilette de vos ongles ! Croyez-moi, il y a d’autres choses beaucoup plus importantes et intéressantes pour une jeune fille ».
Mais, si l’on écrit à son journal, c’est aussi pour raconter, comme à un proche, les joies et les tracas de son existence : réussite à un examen, maladie, perte d’un membre de la famille… Les lectrices de Lisette n’hésitent pas à s’en remettre à leur « Marraine » pour décider de leur future carrière professionnelle ou, plus légèrement, nommer leur animal de compagnie. Voici d’ailleurs quelques idées de noms pour une chatte : Penny, Pomponne, Finette… ou pour un chien : Chouf, Boubette, Marco ou Diane !
La relation particulière qui unit le journal et ses lecteurs trouve son apogée lorsque ces derniers en deviennent eux-mêmes acteurs. Fripounet et Marisette ouvre par exemple ses pages aux actions de ses « clubs » dont les membres décrivent leurs activités. Les lecteurs sont de plus en plus invités à donner leur avis, même s’il est négatif. En 1961, un article opposant le comportement « immoral » de jeunes fans de rock’n’roll et le comportement vertueux de jeunes alpiniste va susciter de vives réactions parmi les lecteurs comme parmi les rédacteurs.
L’évolution des mœurs voit aussi se modifier la manière dont les adolescents font part à leur journal de leurs relations avec leur entourage. Les courriers d’avant-guerre sont particulièrement centrés sur la famille et les relations amicales ; c’est vers les années 1970 qu’ apparaissent les premiers récits d’histoires sentimentales. Le pourtant très catholique Record se fait ainsi, à l’occasion, courrier du cœur…
Reflet de l’évolution de son temps, le courrier des lecteurs est le signe d’un attachement profond des lecteurs à leur journal, qui réussissent à créer une véritable « communauté » très réactive autour de leur contenu. Ne pourrait-on pas voir en eux les ancêtres des influenceurs, qui réussissent aujourd’hui à établir des relations étroites avec leurs abonnés?
Bravo pour cette analyse complète de l’évolution du » courrier des lecteurs » dans les magazines pour pré-adolescents. Cela rappelle de si bons souvenirs d’enfance ! C’est instructif et le lien avec les blogueurs d’aujourd’hui est vraiment pertinent.