Entretien avec Bertrand Catherine, le patrimoine vu par un aveugle

Accueil = En coulisses = Que font les bibliothécaires ? = Entretien avec Bertrand Catherine, le patrimoine vu par un aveugle

Par Leslie Picardat | Le 26 février 2016 | Que font les bibliothécaires ?

De son handicap, il a choisi de faire un atout.

Employé à la Médiathèque du Grand Troyes depuis dix ans comme assistant de conservation du patrimoine et des bibliothèques, Bertrand Catherine travaille au développement d’outils et d’approches permettant au public déficient visuel d’accéder au patrimoine. Relai associatif, il met en place des partenariats entre la Médiathèque et les associations locales comme l’institut médico-social Chanteloup à Sainte-Savine ou les Donneurs de voix à Troyes.
Diplômé en informatique de l’Université catholique d’Angers, passé par la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges avant la Médiathèque, son parcours s’enrichit en 2007 d’une expérience décisive. Il suit un stage sur l’image tactile à l’INS-HEA (Institut d’enseignement supérieur et de recherche handicap et besoins éducatifs particuliers) en région parisienne. Initié par Hoëlle Corvest, non-voyante, co-auteure d’un ouvrage édifiant, Des clés pour bâtir, ce stage lui enseigne une pédagogie à destination du public malvoyant pour la découverte du patrimoine.
C’est en quasi parfaite autonomie que Bertrand vaque à ses occupations, aidé par quelques technologies de pointe dont s’est dotée la Médiathèque. Dans son bureau, il dispose des outils informatiques classiques, auxquels s’ajoutent un logiciel de lecture d’écran qui restitue l’information sous forme vocale et tactile, un clavier en braille qui traduit l’écran, un casque et un haut-parleur. Pour lui, la lecture a lieu en synthèse vocale ou en braille.

Nous avons souhaité lui poser quelques questions sur son rapport au patrimoine, ses « clés pour bâtir » ensemble. Lui qui ne reçoit que quelques bribes de lumière pour s’orienter, nous éclaire sur son expérience, forcément différente, mais toute aussi précieuse.

C’est quoi le patrimoine pour toi ?

Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas tellement accès aux livres. Le patrimoine écrit ne voulait pas dire grand-chose. Je ne savais pas ce que c’était qu’une enluminure. Incunables, vieux papiers, parchemin… tout cela est longtemps resté abstrait et lointain pour moi.

Quelle expérience en as-tu ? Quel a été le déclic ?

A mon arrivée à la Médiathèque, en 2006, j’ai découvert les expositions patrimoniales : « Rétif de la Bretonne », « Les Très Riches Heures de Champagne », « Illustrer les fables de La Fontaine de Chauveau à Dali », « Chrétien de Troyes et la légende du Roi Arthur »… L’exposition « Enfance 14/18 », en partenariat avec la Formation Patrimoine du Centre Universitaire de Troyes, permettait au public malvoyant d’accéder au matériel d’exposition. Une salle de classe était reconstituée où nous pouvions faire l’expérience des pupitres, des objets du maître et de l’écolier, les blouses, les encriers… Des extraits de lettres d’enfants ou des soldats à leurs enfants ont été lus. Je me souviens du plaisir qu’on prenait à partager la scénographie. L’exposition « Troyes dans la tourmente » au temps des campagnes napoléoniennes, nous donnait accès aux uniformes, shakos et gibecières des soldats qui passaient de main en main. Pour Matricule 41 667 – Dora, l’exposition qui a retracé l’histoire de la déportation du troyen Pierre Fanget au camp de Dora en 1944, une carte de l’Europe de 1937 identifiant l’emplacement des camps avait été réalisée par l’équipe : au format A3, thermo-gonflée (en relief).

Quelle offre de découverte du patrimoine la Médiathèque a-t-elle récemment proposée ?

Avec Cyril Clausier et Sylvie Schambacher, au département développement des publics, nous mettons en place les visites accompagnées. En décembre dernier, nous avons proposé une visite de l’exposition des photographies d’Olivier Martel sur l’âme cistercienne. La visite a débuté par un tour d’horizon de l’espace d’exposition (hauteur de cloisons, indications de couleurs, espacement des œuvres…). Elle s’est poursuivie par une approche tactile des lieux et des objets, et par la description minutieuse des photographies. La représentation mentale et l’imagination sont largement sollicitées. Nos publics sont friands des moindres détails qui donnent à rêver.

Des projets en cours ?

Pour le public malvoyant, le livre et l’image, même quand ils sont en relief, restent des objets complexes. Le braille et l’image tactile nécessitent un apprentissage ; il y a une éducation du toucher à initier. L’ouvrage La Sainte-Chapelle offre trois niveaux d’initiation à l’image tactile : un visuel en couleur contrastée (pour ceux qui ont encore la vue), un support tactile obtenu par gaufrage avec plusieurs niveaux de relief, et un support audio. Ce livre nous fait découvrir la Sainte-Chapelle de Paris en 3D ; il nous permet d’approcher la complexité d’une architecture et du vitrail. J’accompagne nos lecteurs dans l’initiation à ce type d’ouvrages que la Médiathèque met à disposition.


Aussi, la Médiathèque a fait l’acquisition d’un four à thermo-gonfler pour réaliser des images en relief. Nous allons prochainement proposer au public malvoyant l’expérience d’une lettrine. Prenant un exemple de lettrine, extraite de La Grande Bible de Clairvaux, conservée à la Médiathèque, nous travaillons aujourd’hui à décomposer cette image. En partant des formes les plus simples, superposées en décalques, on vient par couches successives à faire comprendre toute la complexité d’une enluminure. L’ouverture d’un atelier est prévue pour la rentrée 2016…

Leslie Picardat
Médiation numérique du patrimoine / Médiathèque du Grand Troyes

Bibliographie :
C. Bessigneul, H. Corvest, J.C. Morice et F. Ragoucy, Des Clés pour bâtir, imprimé en braille par l’association Valentin Haûy, planches gravées et gaufrées par les ateliers André, Paris, Cité des sciences et de l’industrie, 1991
Françoise Perrot, Hoëlle Corvest, La Sainte-Chapelle, Paris, Monum, Éditions du Patrimoine, collection Sensitinéraires, 2005
Jean-Yves Montagu, L’âme cistercienne, photographies d’Olivier Martel, Paris, Éditions du Chêne, 1999

Articles similaires

Débuter sa généalogie

Débuter sa généalogie

Vous débutez ou aimeriez débuter votre généalogie ? Se lancer à la recherche de ses ancêtres est une aventure passionnante, qui peut parfois s’avérer compliquée par le manque de méthode ou de connaissances des différentes sources d’information. La médiathèque...

Lire la suite

2 Commentaires

  1. SCHMIT Laurent

    Une belle idée de mettre en valeurs les femmes et les hommres qui oeuvrent dans le domaine du patrimoine et de la lecture publique. Merci pour ce bel article et tous les autres !

    Réponse
  2. Murielle

    Quand on sait comment internet permet d’avoir
    accès rapidement à l’information.
    On oublie que pour les aveugles certaines données accessibles que grâce à la vue leur restent inaccessibles.
    Je dis bravo à cette homme pour le travail et le regard qu’il change sur son « monde. Et bravo à tout ceux qui travaillent avec lui et l’aident à atteindre ses objectifs.

    Réponse

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.