Exposition « Rose & sakura » : la beauté et la laideur au Japon et en Corée, dans les manga et les webtoon

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Par Anne-Charlotte Pivot | Le 4 août 2023 | Que font les bibliothécaires ?

Dans le cadre de l’exposition Rose & sakura : féminité fantasmée, identités révélées (16/06/23-17/09/23), les bibliothécaires vous proposent de découvrir tout l’été des manga en lien avec les thématiques abordées dans l’exposition. Ces animations ont pour objectif d’apporter des compléments d’information sur l’exposition et les titres sélectionnés pour les mettre en regard avec la société japonaise.

Le mardi 01 août, les bibliothécaires ont proposé une mise en contexte, ainsi qu’un échange autour de la beauté et de la laideur dans le manga contemporain, à travers deux titres : Kasane, la voleuse de visage de Daruma Matsuura ; et True Beauty de Yaongyi. En voici le compte-rendu.

Quelques éléments de contexte historique

En extrême-orient, comme dans toutes les civilisations, les femmes étaient soumises à un idéal de beauté, l’apparence physique étant un critère social important pour gagner en notoriété, assoir son autorité, se faire une réputation ou plus simplement pour réaliser une entreprise matrimoniale intéressante. A contrario, toute forme de laideur était marginalisée. Les femmes considérées comme laides avaient peu de chance de pouvoir se marier, à l’exception des femmes de bonne famille, ou d’accéder à un statut social élevé. Cette tyrannie de la beauté physique persiste dans les sociétés asiatiques. Toutefois, l’idéal de beauté, au Japon et en Corée, ne se limite pas à l’aspect corporel. La beauté de l’esprit est tout aussi importante que celle du corps.

Ainsi, les femmes étaient considérées comme vertueuses si :

  • Elles savaient lire et écrire.
  • Elles connaissaient des poèmes associés aux thématique du dévouement, du quotidien ou de l’amour.
  • Elles savaient faire preuve de discrétion et de soumission à l’autorité patriarcale.
  • Elles savaient se taire.
  • Elles étaient sobres.
  • Elles savaient tenir un foyer et élever des enfants.

En Corée et au Japon, les critères physiques et esthétiques recherchés sont cependant quelque peu différents. Si l’idéal de beauté se structure autour de la minceur et de la finesse dans les deux pays, au Japon, la pâleur, le port du noir, les grands yeux, la petite taille, les longs cheveux sont de mise ; tandis qu’en Corée, les femmes doivent avoir les dents droites, les cheveux détachés longs et raides, une petite bouche, la peau lisse, un petit nez retroussé.

Dans le manga (japonais) et le webtoon (coréen)

Dans les manga, les critères de beauté et de laideur diffèrent de l’idéal sociétal. En effet, les personnages féminins considérés comme beaux disposent généralement des caractéristiques suivantes, bien qu’il existe des exceptions :

  • Une forte poitrine associée à un corps svelte (caractéristique physique rare chez les femmes asiatiques, naturellement plus fines)
  • Des cheveux longs, souvent colorés ou blonds
  • De grands yeux
  • Une grande taille
  • Des vêtements courts
  • un caractère naïf
  • Un caractère soumis (à des personnages masculins)

Traditionnellement, dans le manga, les personnages féminins sont au second plan. Ils sont uniquement présents pour distraire le lecteur, et leur champ d’action, outre l’avantage de leur plastique, est bien souvent limité. Il en est de même pour les personnages féminins considérés comme « laids », c’est à dire des personnages féminins qui se caractérise par :

  • Une intelligence qui défie voire surpasse celle des personnages masculins
  • Une corpulence élevée
  • Des cheveux courts
  • Une faible poitrine
  • Des vêtements amples ou masculins
  • Un caractère « fort » ou guerrier

Citons pour exemple le personnage féminin de Nami dans One Piece. Au départ, le personnage avait les cheveux courts, une poitrine peu développée, un style vestimentaire plutôt masculin et était considéré comme « laid ». Au fil du temps, les cheveux de Nami vont pousser, sa poitrine également…et son style va se féminiser. Le personnage va alors devenir très populaire car considéré comme « beau ». Cet exemple, l’un des plus extrêmes en terme de métamorphose dans le monde du manga nous montre bien l’importance accordée par les lecteurs à l’apparence des personnages féminins.

Pour autant, les lignes bougent dans le monde du manga. Si les personnages féminins corpulents sont encore sous-représentés, des personnages habituellement considérés comme « laids » deviennent des personnages de premier plan. Contrairement aux séries traditionnelles, ces personnages sont « forts », déterminés et nuancés. L’exemple de Kasane, la voleuse de visage de Daruma Matsuura est assez caractéristique.

En effet, l’héroïne, Kasane Fuchi, est considérée comme extrêmement laide. Durant sa scolarité, elle est constamment harcelée et marginalisée en raison de son apparence physique. Cette particularité est d’autant plus difficile pour le personnage étant donné que sa mère, Sukeyo Fuchi, était une actrice célèbre et reconnue pour son immense beauté. Disparue prématurément, cette dernière revèle à sa fille un secret avant d’expirer : un rouge à lèvres en sa possession permettrait, lorsqu’on appose sa bouche sur celle d’une autre personne, de voler son visage.

Le personnage de Kasane, extrêmement ambivalent, ne va pas hésiter à se servir de cet artifice dont elle ne comprend pas totalement les rouages. Comédienne talentueuse, elle va, à plusieurs reprises, convaincre des femmes, avec l’aide de l’ancien agent artistique de sa défunte mère, M. Habuta, d’échanger son visage contre le leur pour hisser leur carrière professionnelle au sommet. Le subterfuge fonctionne mais les victimes, au fur et à mesure des représentations, ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Si leur nom est reconnu par le public, leur esprit, quant à lui, est à la merci de Kasane. Cette emprise conduira plusieurs personnages à la folie ou à la mort, sans que Kasane ne s’en soucie au départ. La succession de drames et tout ce qu’elle apprendra sur ses origines et le fonctionnement du rouge à lèvres entraîneront une remise en question radicale du personnage qui ne se reconnaît plus. Être belle ne rend pas Kasane plus heureuse contrairement à ce qu’elle pensait et être laide l’empêche d’exister.

Ce qu’en a pensé Flavia : Kasane est un excellent titre. Il faut déjà noter la grande qualité graphique du manga. Les dessins sont fouillés et précis, et l’immersion est totale. Ce qui m’a marquée à la lecture de Kasane est l’absence de manichéisme. Il serait très aisé de faire un titre où la personne considérée comme laide est une victime d’une société qui ne l’accepte pas. Ce n’est pas le cas. Il serait également facile de représenter Kasane comme une personne méchante. Ce n’est pas le cas non plus. Oui, Kasane commet de nombreuses exactions, et oui, elle cause énormément de souffrances. Mais si on comprend ses raisons, elle n’est jamais soit trop critiquée, soit absoute. Le manga fait preuve de beaucoup de nuances dans son propos. C’est donc un manga intelligent qui remet en cause les canons de beauté et de féminité.

Ce qu’en a pensé Anne-Charlotte : Certaines scènes du manga sont choquantes, notamment le suicide d’une des victimes de Kasane mais le titre est extrêmement original. En effet, le personnage de Kasane est à la fois pitoyable et d’une extrême cruauté, susceptible de générer des sentiments divers chez le lecteur : haine, admiration, incompréhension, tristesse, condescendance. Une véritable prouesse scénaristique. Aussi, il faut voir Kasane comme une fable contemporaine qui critique la « tyrannie » de la beauté dans nos sociétés, que ce soit en Asie ou ailleurs. Le questionnement dépasse la simple dichotomie en beau et laid, gentillesse/méchanceté, naïveté/perversion. Le propos s’encre dans un contexte sociétale bien pensé, celui de la société de consommation et du paraître, au travers du personnage de Kasane qui tente de survivre dans cette jungle urbaine. Un titre sommes toutes inclassable qui vaut le détour !

Focus sur la beauté et la laideur dans le webtoon

Côté webtoon, ces « manhwa » (manga coréen) publiés en ligne sur l’application du même nom, la question de la beauté des personnages féminins est un sujet récurrent. Quel que soit le titre, les personnages sont nécessairement beaux, qu’il s’agisse d’une réincarnation, d’un stratagème (maquillage, pouvoirs) ou de caractéristiques physiques naturelles. S’il s’agit généralement d’éléments secondaires aux récits, certains titres évoquent cette thématique de façon plus profonde : c’est le cas du webtoon True Beauty publié par la dessinatrice et ancien mannequin, Yaongyi.

L’intrigue se concentre sur Ju-Kyeong, une lycéenne longtemps harcelée pour son physique disgracieux et qui est parvenue à se faire apprécier de tous grâce à son talent pour le maquillage. Méconnaissable une fois métamorphosée par les produits de beauté, elle commence à dissocier son « moi extérieur » et son « moi intérieur » puisqu’elle seule est au courant de la vérité. Toutefois, son secret sera découvert à plusieurs reprises, pour le meilleur et pour le pire, de quoi nous interroger sur l’importance de l’apparence physique dans la société coréenne et la place des femmes.

Ce qu’en a pensé Flavia : Phénomène de Webtoon, je ne suis clairement pas la cible de ce titre. Si je ne suis pas vraiment sensible à l’ambiance générale, je ne peux nier que le message est positif et progressiste. Voir des femmes se saisir de leurs corps pour déjouer les injonctions que la société impose est très rafraichissant. On apprécie également qu’un titre populaire permette à des jeunes personnes d’apprendre à s’aimer. Le maquillage n’est pas un artifice trompeur, c’est une compétence, et True Beauty le montre très bien. On aurait cependant apprécié que Yaongyi, la créatrice, ose casser le tabou de la chirurgie esthétique dans la Kpop, tant cette thématique aurait été logique avec le message global de l’œuvre. 

Ce qu’en a pensé Anne-Charlotte : True beauty semble être, de prime abord, une romance. En réalité, le webtoon évoque des sujets beaucoup plus profonds et aussi plus graves : la tyrannie de la beauté, le harcèlement, la violence des réseaux sociaux et de la performance dans le domaine professionnel, des idols notamment. Ainsi, les personnages considérés comme laids (personnes corpulentes, boutonneuses, petits yeux, cheveux gras…) sont systématiquement marginalisés et critiqués, tandis que les personnages considérés comme beaux sont des « dieux » ou des « déesses ». Pour sortir de cette sphère infernale, Ju-Kyeong utilise le maquillage. Cependant, ce qui est dommage c’est qu’elle ne parvient à exister que sous cette forme et même après la révélation de son secret, elle ne parvient pas à se détacher de cette apparence factice. Le titre est néanmoins intéressant pour comprendre la pression des normes de beauté féminines en Corée, le tout en douceur.

Prochain rendez-vous, le 29/08 : les bibliothécaires évoqueront avec vous le cas des femmes aventurières dans le manga.

Anne-Charlotte et Flavia

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