Histoire coloniale : la France en Afrique

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Par Anne-Charlotte Pivot | Le 29 mars 2024 | Imprimés

Les livres d’histoire laissent souvent penser que les hommes politiques de la fin du 19e et du début du 20e siècle étaient tous favorables à la colonisation. Cette idée reçue est fausse : si certains y sont fermement favorables pour des raisons politiques et économiques comme Jules Ferry, d’autres, à l’instar de Georges Clemenceau y sont farouchement opposés. Ce dernier dira, lors de son discours du 30 juillet 1885 à la Chambre des députés, que :

« Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l’histoire de votre civilisation ! »

Discours de Georges Clemenceau (30/07/1885)

Ce discours, historiquement lourd de sens, remet sur le devant de la scène le débat épineux de la colonisation : était-ce évitable ? Y-a-t’il des éléments qui justifient ou ont justifié la logique expansionniste des nations ? S’il est difficile de juger les évènements historiques a posteriori, les collections de la médiathèque nous éclairent sur la variété de points de vue autour de la question colonialiste au début du 20e siècle en France :

  • Le point de vue d’un libertaire pro-colonialiste mais anti-esclavagiste, Georges Deherme
  • Le point de vue d’un militaire de carrière, le commandant Prosper Germain
  • Le point de vue de l’historien Camille Rousset
  • Le point de vue de l’historien spécialiste de la colonisation, Raymond Ronze

Mais avant d’étudier ces différents points de vue, voici un petit récapitulatif des dates qui ont marqué l’histoire de la politique coloniale de la France en Afrique :

  • 1830 : Conquête d’Alger (Algérie)
  • 1848 : Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises
  • 1850 : Début de la colonisation française en Afrique
  • 1870 : Défaite de la France à Sedan, contre le Saint-Empire romain germanique
  • 1881 : Protectorat de la Tunisie
  • 1882 : Conquête de Congo (dont Gabon actuel)
  • 1890 : Conquête du Soudan français (actuel Mali)
  • 1891 : Colonisation de la Guinée
  • 1893 : Conquête de la Côte d’ivoire et du royaume Dahomey (Bénin)
  • 1895 : Création de l’Afrique-Occidentale française (AOF) (Côte-d’Ivoire, Guinée, Sénégal, Soudan français puis Dahomey, Niger, Mauritanie, Haute-Volta plus le Togo, capitale Dakar)
  • 1900 : Conquête du Niger et du Tchad
  • 1902 : Conquête de la Mauritanie
  • 1910 : Création de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) (Gabon, Moyen-Congo, Tchad et Oubangui-Chari (Centrafrique), capitale Brazzaville)
  • 1912 : Protectorat du Maroc
  • 1956 : Fin du protectorat du Maroc et de la Tunisie
  • 1960 : Début des vagues de mouvements indépendantistes en Afrique occidentale et équatoriale
  • 1962 : Fin de l’Algérie française

A partir de cette chronologie, se dessine deux grandes tendances au sein de la politique coloniale africaine de la France :

  • On assiste à une intensification de la politique expansionniste en Afrique à compter de l’industrialisation de la France. L’Afrique devient alors un territoire stratégique pour contribuer à la puissance politique et économique du pays.
  • La défaite contre l’Allemagne en 1870 marque un tournant : l’Afrique sera désignée comme le territoire idéal à exploiter pour s’enrichir et étendre la superficie de la France suite à la perte de l’Alsace-Lorraine.

Ainsi, la colonisation se caractérise par des flux migratoires et un peuplement forcé plus ou moins rapide d’un territoire par un groupe ethnique ou un État dans le but d’exploiter ce territoire à son profit (matière première, main d’œuvre, position stratégique…). Il faut différencier « colonisation » et occupation militaire d’un territoire (aucune logique politique ou économique sur le long terme), de la simple annexion (en raison des différences de traitement entre colons et colonisés) et de l’immigration (qui résulte d’un « choix » individuel). Dans sa forme la plus extrême, la colonisation peut aller jusqu’au génocide.

Selon l’ouvrier anarchiste, Georges Duherme, dans son ouvrage L’ Afrique occidentale française (1908), la colonisation est une nécessité politique et économique afin d’assurer la puissance d’une nation :

« La colonisation est donc bien notre destin, et c’est la meilleure preuve que notre race reste vigoureuse et que la France est encore une grande nation »

Georges deherme, « L’ Afrique occidentale française  » (1908), p.3.

Pour qualifier la politique coloniale de la France, il parle de « progrès » et justifie les conquêtes territoriales en affirmant qu’elles sont le fait de toutes les « races en développement » car « tous les peuples qui ont laissé quelque trace dans l’histoire sont colonisateurs ». Toutefois, selon lui, les colonies ne rapportent pas assez d’argent à la France. Il va jusqu’à comparer les colonies à des enfants en bas-âge, insistant sur la faible rentabilité.

Pour autant, il concède que la colonisation en elle-même est violente et condamne fermement l’esclavagisme. Il écrit : « Partout où la France a colonisé, elle a laissé sa trace, son esprit, sa langue et son sang » (p.11). Son point de vue peut donc sembler ambivalent :

  • D’un côté il affirme que la colonisation de l’Afrique était nécessaire pour des raisons politiques.
  • De l’autre, il considère que l’esclavage est un frein à la colonisation et que l’occidental, en apportant le progrès, n’a pas besoin d’user de la force pour utiliser le peuple africain comme main d’œuvre.

Sa position serait aujourd’hui qualifié de « suprématiste » et de « raciste ». En effet, il aborde la question des formes de gouvernements en Afrique avant l’arrivée des armées françaises et indique que « dans son ensemble, la population noire n’est qu’une masse informe, sans cohésion » et que « le gouvernement chez les « nègres » a toujours un caractère tyrannique » (p.23.)

La position du commandant Prosper Germain, dans son livre La France Africaine (1907) est moins tranchée. En tant que témoin oculaire, il établit davantage un état des lieux de la situation coloniale française en Afrique qu’un réquisitoire pro ou anti-colonialiste. Selon lui, l’implantation française en Afrique comporte des avantages notables, notamment en matière de politique commerciale. Son point de vue concerne essentiellement la refonte de la politique coloniale française :

  • Il propose de se concentrer uniquement sur la colonisation de l’Afrique, plutôt que d’exploiter les territoires asiatiques.
  • Il préconise le pacifisme, tout comme Georges Deherme, en sous-entendant que la puissance de l’Occident dépasse naturellement celle de l’Afrique et que, par conséquent, l’usage de la violence ne présente aucun intérêt étant donné que le peuple africain ne peut que se « soumettre ».

Toutefois, l’avis de l’auteur reste mineur et l’ouvrage tient plus de la géographie historique que du pamphlet politique, contrairement au livre de l’historien Camille Rousset sur la conquête d’Alger, totalement dithyrambique vis à vis de la politique expansionniste française. S’il évoque une réalité historique, à savoir qu’aucun peuple n’a jamais accepté d’être colonisé sans résistance, il défend la thèse selon laquelle il existerait naturellement des nations fortes et des nations faibles.

D’après lui, la conquête d’Alger est une prouesse militaire et une opportunité économique pour la France. Il n’hésite pas à réaffirmer à plusieurs reprise son approbation et à critiquer vivement l’opposition. Une mentalité pro-colonialiste loin d’être unanime au sein des cercles universitaires français, d’autant que la plupart des historiens étaient généralement neutres sur la question, n’ayant aucune activité politique à côté de leurs recherches.

Pour préciser la position de Camille Rousset, l’exposé qu’il fait de l’Algérie à la page 2 est assez réducteur. Selon lui, les Algériens sont encore un peuple primitif qu’il qualifie de « pirate » et l’histoire de l’Algérie ne ferait pas partie des histoires nationales les plus honorables. Un point de vue sommes toutes discutable au regard du rôle des historiens, à savoir rester le plus neutre et objectif possible.

Finissons avec le travail d’un historien spécialiste de la colonisation et enseignant en classe préparatoire au début du 20e siècle : Raymond Ronze. Auteur d’un manuel La question d’Afrique publié en 1918, il adopte un point de vue assez neutre et se contente de relater des évènements historiques mis en contexte. Dans son introduction, il écrit que :

« La question d’Afrique est, aujourd’hui, un problème résolu, puisque la conquête s’est achevée pendant les années qui ont précédé la guerre par l’installation des Français et des Espagnols au Maroc, des Italiens en Tripolitaine et en Cyrénaïque […]. La question d’Afrique est la question des rapports de l’Europe et de l’Afrique, surtout jusqu’ici ceux du conquérant avec le vaincu et leur histoire, celle de l’expansion européenne »

Introduction de « La question d’Afrique » (1918)

Sommes toutes, l’historien concède que l’histoire de l’Afrique au début du 20e siècle, résulte quasi exclusivement d’une vision européanocentrée. En effet, l’histoire africaine n’est vue qu’à travers les récits historiques des conquêtes européennes de l’Antiquité à l’époque contemporaine. L’histoire des peuples africains en elle-même est totalement niée. Dans cet ouvrage, R. Ronze tente donc de retracer avec précisions l’histoire coloniale de l’Afrique, faute de pouvoir écrire l’histoire de l’Afrique dans son intégralité, et dans un registre neutre, c’est à dire sans jugement aucun. Une vision plus mesurée que d’autres auteurs qui permet de prendre un peu de distance avec « la question d’Afrique ».

A partir des années 50, des mouvements indépendantistes ont permis aux pays d’Afrique de s’émanciper de la tutelle coloniale française. Toutefois la question de la « mémoire coloniale » est aujourd’hui au cœur des débats historiques et politiques. Sur le sujet, deux articles intéressants pour approfondir : ici et car la question d’Afrique est loin d’être résolue contrairement aux dires de Raymond Ronze en 1918.

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