Le Golem et les sources juives de quelques avatars dans la culture populaire moderne et contemporaine

Accueil = Chez nos partenaires = Billets invités = Le Golem et les sources juives de quelques avatars dans la culture populaire moderne et contemporaine

Par Géraldine Roux | Le 25 février 2022 | Billets invités | Chez nos partenaires

La figure du Golem est rendue célèbre, dans le folklore juif, par le récit fantastique d’un être créé à Prague, au 16e  siècle, pour protéger la communauté juive par un certain Rabbi Loew qui ne serait autre que le Maharal de Prague, rabbin, talmudiste, mystique et philosophe du 16ᵉ siècle. Le Golem serait un être de glaise, artificiel, un anthropoïde créé à partir de la combinaison des lettres hébraïques formant les noms divins depuis la connaissance l’ancien traité de cosmogonie juive, le Sefer Yetsirah, le livre de la création. Le Maharal de Prague aurait conçu cet être puissant afin de protéger la communauté juive des persécutions et des pogroms. Est écrit sur son front EMET (« vérité », en hébreu) et est introduit dans sa bouche un parchemin sur lequel est inscrit le nom ineffable de Dieu. Le Golem a pour fonction de servir et, pour le désactiver, le rabbi retire de son front la lettre hébraïque « aleph » de ’emet, ce qui donne MET, « mort » en hébreu.

Mikuláš Aleš (1852-1913), Rabbi Loew and Golem (1899)

Or, après l’entrée de shabbat, le rabbi oublie de désactiver le Golem qui dévaste alors toute la communauté, ce qui pousse son maître et créateur à le détruire. Cette histoire entrera dans le folklore juif d’Europe de l’est et donnera naissance, de manière directe ou indirecte, à un certain nombre de personnages de la culture moderne et contemporaine, de la créature de Frankenstein à la Chose des Quatre Fantastiques, en passant par l’incroyable Hulk ou la monture le  Golem dans le jeu vidéo World of Warcraft. Mais quelle en est l’origine et peut-on le réduire à un être sans âme ?

Jeu vidéo World of Warcraft (société Blizzard Entertainment), Golem de siège, niveau 40.

Qu’est-ce qu’un golem ? La première occurrence du mot golem apparaît dans les Psaumes : « Tes yeux me voyaient, quand j’étais une masse informe [galmi, en hébreu], et sur ton livre se trouvaient inscrits tous les jours qui m’étaient réservés, avant qu’un seul fût éclos » (La Bible dans la traduction du Rabbinat, Psaumes, 139:16). Dans ce verset, Adam se voit révéler le livre de ses jours, le déroulé de son temps de vie, alors qu’il est encore à l’état embryonnaire, c’est-à-dire avant de recevoir le souffle vital. Il est encore « golem », c’est-à-dire un être inachevé, entre la vie et la mort, encore incapable de se mouvoir par lui-même et surtout de donner sens à ce qu’il voit. Il est un être humain en gestation. En attente. Et dans cette attente il est conscient du déroulé de ses jours, sans pouvoir lui donner sens et c’est cette incapacité qui conduit le Golem de Prague à la rage et à la destruction.

Gustav Meyrink, Le Golem, 1916. Illustration de Hugo Steiner-Prag, p.6.

Livré à lui-même quand le rabbi oublie de le « désactiver », et sans conscience de lui-même, sauf du fait d’exister mais sans pouvoir donner de sens à cette existence aveugle, il se retourne contre son créateur et tous ceux qui l’entourent. N’est-ce pas la prière déchirante que la Créature adresse au Docteur Frankenstein, dans le roman de Marie Shelley ?

Oh ! Frankenstein, ne sois pas équitable à l’égard de tout autre être, pour me fouler seul aux 
pieds, moi à qui sont dues ta justice, et même ta clémence et ton affection. Souviens-toi ! je suis ta 
créature ; je devrais être ton Adam ; mais je suis bien plutôt l’ange déchu que tu chasses loin 
de la joie, bien qu’il n’ait pas fait le mal. Partout je vois le bonheur, et j’en suis irrévocablement 
privé. J’étais bienveillant et bon ; la misère a fait de moi un démon. Rends-moi la joie, et je 
redeviendrai vertueux. 

(Marie Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, chapitre X, G-F Flammarion, 1997)

La créature sans nom , sans identité, est qualifiée de monstre par son créateur. Un monstre qui a assassiné, s’est vengé et n’a, au fond, fait œuvre que de destruction. Et elle jette au visage de Frankenstein sa propre responsabilité. Qui est responsable ? La créature ni vivante ni morte, issue d’une expérience d’affranchissement de la mort, dans une tentative de création de la vie à partir de cadavres, doit-elle endosser toutes les fautes alors que son créateur l’a abandonnée à son sort, en se détournant d’elle dès sa conception ? Par extension, ce serait peut-être notre sort à tous que la créature met en lumière avec le soupçon plein d’effroi de n’être que des créatures livrées à nous-mêmes, sans aide ni soutien, que ce soient celles d’un dieu ou d’un démiurge.

Si, avec le mythe de la créature de Frankenstein, on assiste à une certaine évolution du Golem puisque la créature parle, ses paroles sont centrées exclusivement sur elle-même, accusant le monde entier, incapable de faire retour sur elle-même, sans conscience de soi. C’est là la limite de l’être golem.

Theodor Von Holst, Frankenstein, frontispice gravé de l’édition de 1831.

Dans une belle réflexion sur la place du Golem, Eléazar de Worms, rabbin allemand du XIIe siècle, précise que sa survie serait l’attestation de la venue des temps messianiques par les actions des justes :

Dans les temps à venir, ce sont les justes qui provoqueront la résurrection des morts, comme Elie, Elisée et Ezéchiel, ainsi qu’il est écrit : le sceau sera chargé en argile […] Pourquoi n’est-il pas écrit « fait » [plutôt que « changé] ? Parce qu’il fait allusion aux justes qui savent créer en utilisant les combinaisons des lettres et ils créèrent un homme grâce au Sefer Yetsirah mais il ne ressemblait pas à l’homme créé par Dieu dans sa sagesse […] et donc s’il pèche, il [le Golem] retournera à la poussière (cité dans Moshé Idel, Le Golem, 
Paris, Editions du Cerf, « Patrimoines Judaïsme », 1992, p. 115).

Eléazar de Worms suggère une autonomie de ce personnage, par sa capacité à faire le mal et donc d’être tenu pour responsable de ses actes. Il ne serait donc pas soumis à des pulsions aveugles mais il serait capable de conscience morale. Ne serait-il pas à éduquer ? Plutôt que de le montrer du doigt – le sens propre de « monstre » – n’aurions-nous pas à construire les conditions matérielles de sa survie : un monde non plus hostile mais une terre d’accueil, désactivant la violence potentielle du golem ? Ainsi seul un monde parfaitement juste pourrait voir survivre un golem… Travaux en cours ?


Quelques mots sur l’auteur

Géraldine Roux est docteur et enseignante en philosophie, chercheur associée au Laboratoire d’Etudes des Monothéismes (CNRS) et directrice de l’Institut Rachi depuis 2010. Elle a publié récemment un livre de présentation de la vie et de l’œuvre de Maïmonide, rabbin et philosophe juif du XIIe siècle, Maïmonide et la nostalgie de la sagesse, aux éditions du Seuil, dans la collection Points Sagesses en 2017. Les actes d’un séminaire, « L’influence de la religion néoplatonicienne dans les monothéismes », co-dirigé par Daniel de Smet et Géraldine Roux et qui s’est tenu à l’Institut Rachi en 2018, paraîtront fin 2022 et seront l’objet de rencontres de présentation.

Bibliographie sélective 


Pour en savoir plus sur l’Institut Rachi

L’Institut Universitaire Européen Rachi est un lieu d’études, situé à Troyes, consacré aux études juives et sémitiques et à la recherche sur les monothéismes. Il propose, tout au long de l’année, des cours en histoire, philosophie, littérature, langues arabe et hébraïque, ainsi que des séminaires animés par des spécialistes scientifiques et universitaires reconnus. Notre partenaire historique est l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Les étudiants du Campus Comtes de Champagne peuvent suivre des cours dans le cadre diplômant des études de licence et de master

Sont également organisées des conférences, des colloques et des journées d’étude afin d’apporter au grand public des pistes de réflexion autour du fait religieux et du dialogue entre les cultures et les religions.

Plus d’informations : www.institut-rachi-troyes.fr / www.facebook.com/Institut.Rachi.Troyes

Articles similaires

Claude Debussy en 1911

Claude Debussy en 1911

L’année Claude Debussy en 2018, qui commémore le centenaire de sa disparition, est l’occasion d’évoquer une de ses compositions musicales, Le martyre de Saint Sébastien, mystère en cinq actes, avec un livret en français de l’écrivain italien Gabriele D’Annunzio. La...

Lire la suite

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.