Le gras, c’est la vie ? Carême et diététique

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Par Emeline Pipelier | Le 21 avril 2023 | Imprimés

Référence aux quarante jours de jeûne du Christ dans le désert, le Carême constitue l’un des temps liturgiques des religions chrétiennes. Dans la religion catholique, il est situé entre Carnaval (qui marque les dernières festivités avant le jeûne) et Pâques et marque un temps d’abstinence généralisée : sexuelle mais aussi alimentaire. Selon le lieu et les époques, cette dernière peut prendre plusieurs formes :

  • le jeûne proprement dit (consommation de pain et d’eau, suppression de certains repas dans la journée)
  • la non-consommation de viande
  • la consommation d’aliments « maigres » (par oppositions aux aliments « gras ») : c’est la solution la plus communément adoptée tout au long de l’Ancien Régime.

La définition des aliments gras varie elle-même selon les lieux et les époques : cet ensemble, qui ne concerne strictement que la viande rouge, inclut parfois les oeufs, la crème, le beurre ou le lait. En se privant de ces aliments supposément plus savoureux, les fidèles font œuvre d’abstinence en renonçant au plaisir de leur consommation. On classe au contraire dans les aliments « maigres » les poissons, les céréales et les végétaux (légumes, fruits et herbes).

Jean-Baptiste Siméon Chardin, « Le Menu de gras », 1731, Musée du Louvre

Au fil du temps, les règles du Carême se relâchent et l’on voit apparaître de plus en plus de dispenses. Ces dernières, délivrées par les évêques, autorisent la consommation d’aliments en principes défendus. La médiathèque conserve ainsi plusieurs dispenses émanant de l’évêque de Troyes et permettant de manger des oeufs au cours de cette période : la première est émise dans les années 1770 et est renouvelée chaque année jusqu’à la Révolution.

En 1709, le médecin Philippe Hecquet publie son Traité des dispenses de Carême. A mi-chemin entre la santé et la théologie, l’ouvrage examine tous les aliments pouvant entrer ou non dans un régime « maigre ». Il aborde notamment le cas des animaux amphibies, comme la macreuse (sorte de canard marin), la tortue ou la loutre : ces derniers, en raison de leur habitat aquatique, sont considérés comme des poissons et volontiers consommés comme des aliments maigres. Grâce à des arguments scientifiques et biologiques (absence d’ouïes, présence de sang…), Philippe Hecquet prouve que ces animaux ne sont pas des poissons et que l’usage de leur chair est impropre au Carême.

Il consacre également une longue partie de la seconde édition de son livre à ces nouveaux aliments que sont le café, le thé et le chocolat. Cette fois-ci, ses arguments sont beaucoup plus spirituels : ces boissons étant consommées non pour satisfaire sa faim ou sa soif, mais avant tout par plaisir, elles ne conviennent pas au Carême ! La seule exception est le thé, mais uniquement s’il est consommé en boisson ordinaire, pendant les repas, et non comme gourmandise.

Jean-Baptiste Siméon Chardin, « Le Menu de maigre », 1731, Musée du Louvre

Mais c’est surtout au régime maigre en lui-même que Hecquet s’intéresse. En effet, il veut avant tout, par son livre, conjurer « les frayeurs qu’on se fait du Carême » et les craintes de ses contemporains vis-à-vis des problèmes de santé supposément issus d’une alimentation pauvre en gras. Le médecin réfute en quelques points les clichés liés au régime « maigre »:

  • Ceux qui sont effrayés à l’idée de ne pas manger de viande le sont avant tout à l’idée de changer leurs habitudes
  • Les personnes considérant que les aliments maigres sont peu nourrissants ont tendance à trop manger et à en être incommodés
  • Ces mêmes personnes ont aussi pour (mauvaise) habitude de boire en trop grandes quantités
  • Enfin, les plats de Carême comportent une trop grande variété d’aliments mal accordés et sont souvent mal cuisinés (avec trop de beurre ou d’épices).

A travers les propos d’Hecquet transparaît un véritable éloge du régime pesco-végétarien : le livre affirme en effet que « les fruits, les grains et les légumes sont les aliments les plus naturels à l’homme » et que « l’usage de la viande n’est pas le plus naturel à l’homme, ni le plus nécessaire », pour conclure ainsi :

Il est donc vrai de dire que le maigre est plus naturel à l’homme que le gras, qu’il fait moins de maux, et guérit plus de maladies.

Dans une longue démonstration qui s’attarde sur les vertus médicales des aliments de Carême (poissons, céréales, fruits et légumes d’hiver), Hecquet pose bel et bien les principes de la diététique telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Bibliographie

LARUE Renan, « Les bienfaits controversés du régime maigre », in Dix-Huitième Siècle (n° 41)

Lire le tome second du Traité des dispenses du Carême sur Gallica

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