Menstruations, matrice et MST : les maux des femmes sous l’ancien régime

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Par Anne-Charlotte Pivot | Le 14 avril 2023 | Imprimés

Sujet tabou, les « problèmes de femmes » sont souvent occultés, minimisés voire banalisés au quotidien. Certains d’entre eux font également l’objet de nombreux stéréotypes. Les femmes enceintes auraient des envies de fraises, les femmes menstruées seraient souillées et impropres à la fécondation, les femmes atteintes de maladies sexuellement transmissibles seraient nécessairement des femmes de « mauvaise vie », etc…

D’où viennent ces idées reçues ? Comment le corps médical percevait les évolutions du cycle et du corps féminin sous l’ancien régime ? Avant le milieu du 19e siècle, rares sont les études publiées sur les menstruations des jeunes femmes et leur sexualité. Jusqu’à la fin du siècle des lumières, on trouve essentiellement des ouvrages d’observation concernant la grossesse et les risques obstétricaux, rédigés par des femmes.

Dans son livre Observations diverses sur la stérilité, perte de fécondité, accouchements et maladies des femmes et enfans nouveaux naiz (1609), Louise Bourgeois (1563-1636), sage-femme de la reine Marie de Médicis (1575-1642), adopte une approche à contre-courant des préceptes médicaux en vigueur jusque là. En effet, elle préconise la recherche des causes plutôt que le traitement des symptômes apparents et publie dans le but de transmettre ses protocoles aux autres sages-femmes. Elle propose notamment des remèdes pour soulager les effets secondaires de la grossesse, les manifestations de maladies sexuellement transmissibles, les séquelles du post-partum.

Pour les suffocations durant la grossesse, qu’elle décrit comme une conséquence du sang retenu durant toute la période de la matrice, par exemple, elle oriente son traitement vers des soins manuels et naturels. Le traitement repose, selon elle, sur des frictions à effectuer sur le haut des cuisses accompagnées d’huile de jay ou de jaune d’œuf frais (p.78-79).

Pour soulager les symptômes plus classiques de la grossesse, comme la fatigue ou les maux d’estomac, elle propose du sirop de pomme et du jus de buglosse, une plante ayant des vertus stimulantes et fortifiant le cœur, le foie et la rate (p.84). Tandis que pour les maladies sexuellement transmissibles, souvent découvertes lors de la grossesse à cette époque, elle préconise l’ingestion de citrouille, de lait et des saignées, un remède imparable selon elle, notamment pour traiter la gonorrhée, maladie qu’elle surnomme « fleurs blanches ».

Dans la continuité des travaux de Louise Bourgeois, la sage-femme Marguerite du Tertre publie un manuel à l’usage des sages-femmes en formation afin de limiter la circulation des idées reçues et des mauvais usages en termes d’accompagnement des différentes phases de la grossesse. Elle introduit son propos en s’adressant directement aux sages-femmes qu’elle décrit comme des « femmes savantes, vertueuses, et expertes pour accoucher et aider les femmes durant leur grossesse ». Elle aborde ensuite les questions anatomiques et le fonctionnement du corps de la femme. Le cycle de la jeune fille n’est pas abordé ici, la présence des menstruations n’intéressant le corps médical, à l’époque, que dans l’optique de concevoir des enfants.

Concernant l’anatomie du sexe de la femme, elle le décrit schématiquement en utilisant les termes suivant :

  • L’orifice extérieur
  • L’orifice intérieur
  • Le col

Cette première description l’amène à évoquer la question des menstruations :

« Le sang menstruel est celui qui sort tous les mois par les voies de la matrice chez les femmes qui se portent bien. Il sert à engendrer et nourrir l’enfant durant la matrice »

Marguerite du tERTRE, « Instruction qu’une sage femme doit savoir » (1677), p.19. Cote : c.cart.731.

Si les écrits de Marguerite du Tertre ne nous informent pas sur les troubles gynécologiques des femmes en dehors de la période de gestation, ils nous éclairent sur les croyances gynécologiques de son temps. En effet, selon elle, l’enfant se nourrirait du sang menstruel durant la grossesse. Ce serait la cause de l’absence de sang durant cette période. Avoir un meilleur teint signifierait que la femme est enceinte d’un garçon, tandis qu’avoir le sein droit plus gros serait plutôt en faveur de la gestation d’une fille. En réalité, tous ces éléments sont inexacts. Elle affirme d’ailleurs, et à plusieurs reprises, le caractère fluctuant de certaines de ces croyances, notamment concernant les symptômes de grossesse, à savoir les vomissements, le dégoût, les douleurs cardiaques, qui ne sont pas forcément synonyme d’une grossesse en cours (p.28).

Toujours dans une logique chrétienne, elle évoque la question des avortements. Bien entendu, il ne s’agit pas d’interruption volontaire de grossesse, crime passable de la peine de mort au 17e siècle, mais d’avortements spontanés comme les fausses couches. Les pratiques sportives, les fortes émotions figurent parmi les facteurs les plus incriminés dans l’arrêt brutal de la gestation. Il faut attendre le 19e siècle pour que les médecins s’intéressent aux menstruations des jeunes femmes, en dehors de tout épisode de grossesse et la seconde moitié du 19e siècle pour que l’on s’interroge sur les causes de ces troubles. Citons pour exemple l’ouvrage du médecin J.-B. Dusourd, Traité pratique de la menstruation considérée dans son état physiologique et pathologique (1850) qui dresse un tableau approximatif des raisons de l’arrêt ou de la fluctuation des flux menstruels, des retards d’apparition des premières menstruations selon les caractéristiques physiques et physiologiques des femmes.

Totalement arbitraire, son étude se fonde sur l’observation d’un panel de patientes. D’après lui, le climat influerait sur l’âge d’apparition des premières menstruations (p.22), tout comme la taille et la corpulence (p.23).

 » Les femmes d’une taille moyenne et un peu au-dessous, sont également plus tôt réglées que les grandes […]. Les filles des villes et des campagnes qui sont d’une bonne constitution, bien nourries, se livrant à un exercice agréable et modéré, le sont en même temps ». Elles sont plus tardives chez celles soumises aux privations des choses utiles à la vie.

J.-B. Dusourd, « Traité pratique de la menstruation«  (1850), p.23.

S’il évoque les effets secondaires des menstruations, il ne va pas plus loin que la simple liste. Aucun remède n’est proposé pour soulager ces maux : démangeaisons, ballonnements, douleurs, chaleur, tiraillements, envie fréquente d’uriner, anxiété…(p.37). Même constat lorsqu’il évoque les maladies sexuellement transmissibles découvertes lors des premiers examens gynécologiques ou durant la vie de la femme en âge de procréer. Il évoque l’existence et l’incidence de la phtisie sur le cycle menstruel et son incidence sur la fécondité de la femme atteinte sans se pencher sur le traitement ou le soulagement des troubles causés par la présence de la maladie.

Dans une logique de recensement, il décrit les troubles identifiés chez des dizaines de patientes afin de déterminer les causes communes de fluctuations des menstruations (p.145-153). Outre des critères physiques, les fortes émotions, les maladies sexuellement transmissibles, les anomalies nutritives figurent parmi les facteurs les plus cités. La connaissance des dysfonctionnements et des maladies de l’appareil féminin évolue cependant pendant le 19e siècle et au début du 20e siècle des représentations de l’utérus, des traités médicaux très documentés voient le jour et proposent des traitements ad hoc aux femmes concernées.

Contrairement au siècle précédent, des femmes s’affirment de nouveau dans le domaine de la gynécologie et publient au côté de médecins hommes. Dans L’hygiène génitale de la femme des Dr Auvard et Schultz les troubles menstruels et les maux de la grossesse sont abordés de façon très précise, mettant en lumière les pathologies, les traitements et les ustensiles susceptibles de limiter les désagréments de la femme enceinte.

Dans cet ouvrage, des causes d’absence de règles sont clairement identifiées et des outils sont proposés aux femmes pour améliorer leur état. Selon les auteurs, il existerait des causes génitales et nerveuses à l’absence de règles. Il peut s’agir d’obstruction physiologique, des problèmes d’atrophie des organes génitaux, de maladies affectant des organes voisins, d’anxiété, de médicaments (p. 33-35). Pour rétablir les menstruations, ils proposent un injecteur d’eau tiède qui passe par les voies naturelles (p.19). Pour la grossesse, ils préconisent un corset de grossesse qui éviterait les fausses couches, les troubles du dos et autres douleurs du bas-ventre lors du 3e trimestre de grossesse (p.123-124). Enfin, pour les suites de couches, le port d’une ceinture spécialisée est préconisé afin de limiter les fuites urinaires et les troubles du périnée.

En définitive, entre le 17e et le début du 20e siècle, la perception et le traitement des maux féminins évoluent considérablement. D’une approche manuelle et naturelle, on passe à une approche médicalisée se matérialisant par l’usage d’ustensiles et de traitements médicamenteux spécifiques. Malgré tout, l’intérêt du corps médical pour les troubles menstruels se résume essentiellement à l’étude des causes des dysménorrhées dans le cadre de la grossesse. Les maladies sexuellement transmissibles sont brièvement évoquées mais tant qu’elles n’empêchent pas la gestation, peu de traitements sont proposés par les gynécologues ou les sages-femmes. La souffrance au féminin, douleurs de règles, douleurs vulvaires chroniques aujourd’hui rassemblées sous le terme de vulvodynies ne sont jamais notifiées.

Pour en savoir plus sur les maladies chroniques féminines, le site de l’association Périnée Bien-Aimé donne un aperçu assez détaillé de la pluralité des maux associés au cycle féminin et des traitements en vigueur pour les soulager.

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